L’Afrique connaît la croissance démographique la plus rapide au monde. Malgré une main-d’œuvre jeune et nombreuse ainsi qu’un immense potentiel de croissance, le continent demeure confronté à plusieurs défis de développement, qu’il s’agisse de l’aggravation des effets du changement climatique, du faible accès à l’énergie ou de l’insécurité alimentaire. À l’approche de la neuvième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD9), qui se tiendra du 20 au 22 août à Yokohama, nous avons rencontré Toshihiko Horiuchi, Directeur général d’Afrique au ministère japonais des Affaires étrangères, pour discuter de la vision et l’engagement du pays à promouvoir la coopération avec l’Afrique dans le domaine du développement.
Intervieweur : Tadashi Yokoyama, directeur du bureau d’IFC à Tokyo
Comment décririez-vous l’Afrique d’aujourd’hui ?
D’ici 2050, l’Afrique devrait représenter un quart de la population mondiale. C’est un continent jeune, qui compte de nombreux pays désireux de nouer des relations commerciales avec le Japon et la communauté internationale en général. Il reste cependant vulnérable aux chocs extérieurs tels que le changement climatique et continue de se heurter à des défis de sécurité humaine. Pour pallier l’insuffisance des financements publics, il sera essentiel de mobiliser des capitaux privés et de tirer pleinement parti des ressources intérieures afin de garantir la prospérité durable du continent.
Je partage entièrement ce constat. L’Afrique est l’une des grandes priorités du Groupe de la Banque mondiale, avec des investissements d’environ 38 milliards de dollars*, le montant le plus élevé parmi toutes les régions. Selon vous, quels sont les principaux leviers susceptibles de libérer le potentiel de l’Afrique et de stimuler son développement économique et social ?
La priorité absolue est la création d’emplois. Face à la hausse du chômage des jeunes, les enquêtes d’opinion menées dans de nombreux pays africains révèlent systématiquement que le manque d’opportunités professionnelles est la première source de préoccupation. Je le ressens lors de mes échanges avec des Africains. L’emploi occupe une place centrale à la TICAD9, et je fonde de grands espoirs sur le secteur privé afin qu’il contribue à en créer.
La « création d’emplois » est également au cœur de la stratégie du Groupe de la Banque mondiale, et IFC, l’institution dédiée au développement du secteur privé, s’emploie activement à mobiliser davantage de capitaux. L’accès au financement est sans aucun doute indispensable à la croissance des entreprises privées.
Tout à fait. J’ai récemment eu l’occasion de m’entretenir avec des entrepreneurs africains. Lorsque je leur ai demandé quel était le principal obstacle auquel ils faisaient face, tous ont évoqué « l’accès au financement ». Ils ont expliqué qu’il leur était impossible d’obtenir des prêts, les taux d’intérêt étant bien trop élevés. Cela illustre clairement que le financement demeure le principal frein au développement des entreprises. Je pense que nous pouvons aider à lever ces freins, en associant la capacité de prêt des banques locales et l’aptitude d’IFC à mobiliser des capitaux, et en trouvant des moyens efficaces de mettre le Japon à contribution.
« J’entends souvent les populations locales dire que « les Japonais réfléchissent avec nous et travaillent à nos côtés ». Je crois que cela s’explique par le fait que le Japon a lui-même connu des moments très difficiles et a pu les surmonter grâce à ses partenaires internationaux. En Afrique, beaucoup connaissent la restauration de Meiji et la période de reconstruction qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, ce qui renforce l’image positive du Japon. Je crois que c’est l’un des plus grands atouts de notre pays. »
C’est précisément pour cette raison qu’IFC investit principalement dans les institutions financières locales, en leur apportant des financements et (en fournissant) des services-conseil pour renforcer leur capacité à accorder des crédits. IFC augmente actuellement ses prises de participation pour aider à combler le déficit de capitaux des entreprises africaines. Nous prévoyons également de renforcer notre rôle de facilitateur, en attirant d’autres investisseurs pour qu’ils participent aux transactions que nous initions.
La Diète a récemment révisé la loi portant création de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) afin d’ajouter des outils financiers dont dispose l’Agence pour ses investissements et ses financements au secteur privé à l’étranger. Nous comptons utiliser ces financements de la JICA comme catalyseur, afin de combiner au mieux les sources de financement public et les autres. Pour y parvenir, il sera plus important que jamais de « co-créer » et « co-travailler » de près avec le Groupe de la Banque mondiale, y compris IFC.
Depuis 2017, IFC et la JICA ont eu à cofinancer de nombreuses opérations, pour plus de 3 milliards de dollars au total. Un bilan vraiment remarquable. En mettant ensemble d’une part l’expertise d’IFC et son expérience dans l’appui au secteur privé et, d’autre part, les outils de financement de la JICA ainsi que son réseau d’entreprises japonaises, nous espérons créer une dynamique positive qui permettra de promouvoir davantage de projets et d’attirer encore plus de capitaux privés.
Nous sommes convaincus que notre collaboration avec la JICA peut se développer, notamment dans des domaines tels que les placements en obligations d’entreprises. Et comme vous l’avez indiqué, la coopération internationale est cruciale pour faire avancer le développement. Qu’espère réaliser le Japon à travers la TICAD ?
Depuis plus de 30 ans, la TICAD, qui a été créée en 1993, contribue à orienter le développement de l’Afrique, jouant un rôle clé lors de changements de paradigme majeurs. La TICAD est fière d’avoir organisé des rencontres sur le développement de l’Afrique à l’échelle internationale, notamment sur des questions comme le développement des ressources humaines, la croissance tirée par le secteur privé, les infrastructures de qualité et la sécurité humaine. La TICAD se démarque en ce qu’elle n’est pas seulement un partenariat bilatéral entre le Japon et l’Afrique, mais un effort collectif de plusieurs organisations multilatérales. Le thème de la TICAD9, « Co-créer des solutions innovantes avec l’Afrique », souligne notre volonté de voir l’Afrique tenir les rênes et nouer des partenariats avec différents acteurs afin de mettre au point des solutions efficaces. Nous remercions sincèrement le Groupe de la Banque mondiale de nous accompagner en tant que co-organisateur tout au long de ce parcours.
Qu’espérez-vous concrètement de la TICAD ? Pourriez-vous donner des exemples précis ?
La TICAD est à la fois une plateforme de co-création et de collaboration ; elle offre à chaque partenaire l’opportunité de présenter et de partager ses meilleurs atouts. Le Japon compte de nombreuses entreprises qui s’illustrent par leurs technologies, services, produits, compétences exceptionnelles, ainsi par de fortes valeurs éthiques. Notre objectif est de favoriser leur expansion internationale en tirant le meilleur parti de ces atouts. Dans ce contexte, il est crucial de collaborer non seulement avec les entreprises japonaises locales, mais aussi avec celles de pays tiers ; c’est la raison pour laquelle le Ministère des Affaires étrangères du Japon affecte des responsables chargés des affaires économiques de l’échelle régionale transfrontalières dans ses ambassades à travers le monde, afin de faciliter ces partenariats avec des pays tiers. Sous la bannière « Made with Japan », nous souhaitons encourager davantage les pays d’Afrique à co-créer des solutions avec nous, tout en promouvant des initiatives telles que « JICA Biz » et les fonds d’impact japonais pour appuyer ces efforts.
Tadashi Yokoyama, directeur du bureau d’IFC à Tokyo
Cette année, IFC prévoit de lancer le « Tokyo Business Development Hub » (centre de promotion des affaires de Tokyo). Nous y voyons une passerelle qui permettra de rapprocher les compétences japonaises et les capitaux japonais des partenaires locaux afin de contribuer à stimuler la croissance de l’Afrique. En 2023, le Japon a révisé sa Charte de coopération pour le développement en introduisant une approche plus proactive dite de « Co-création pour l’initiative d’agenda commun ».
La Co-création pour l’initiative d’agenda commun s’appuie sur l’aide publique au développement traditionnelle et va plus loin en mobilisant activement des capitaux publics et privés supplémentaires tout en offrant des programmes de coopération attractive qui tirent parti des atouts du Japon. Cette approche est centrée sur la « co-création » de solutions avec les pays partenaires.
Guidé par ses principes d’« appropriation africaine » et de « partenariat internationa l», le Japon a soutenu le développement de l’Afrique, sous la houlette de cette dernière. Nous devons notre réputation d’efficacité sur le terrain au fait que les personnes que nous envoyons travaillent aux côtés des populations locales, que nous affrontons ensemble les problèmes et que nous investissons dans le développement des ressources humaines sur place. Le Japon entend poursuivre sur cette lancée, en mettant l’accent sur le développement des talents locaux, l’entretien des infrastructures et le renforcement de services sociaux tels que l’éducation et la santé.
La coopération au service du développement se trouve à la croisée des chemins. Comment le Japon voit-il cette situation ?
Face à l’aggravation des problèmes de sécurité dans le monde et au resserrement des contraintes budgétaires, la coopération pour le développement a pris du plomb dans l’aile. Néanmoins, le Gouvernement japonais estime qu’il est essentiel de continuer à défendre fermement la coopération multilatérale et la coopération au profit du développement. Souvenons-nous que le Japon a lui aussi bénéficié de l’aide internationale par le passé. Des projets tels que le Shinkansen (train à grande vitesse) et le barrage de Kurobe (le plus haut du Japon) ont été financés par la Banque mondiale. Fort de son histoire, le Gouvernement japonais reconnaît l’importance de réfléchir à tout ce qui peut rendre l’environnement international favorable — pour le Japon comme pour le monde entier – et il maintient une dynamique sincère afin de promouvoir une compréhension commune de cette vision. Nous espérons vivement que le Groupe de la Banque mondiale nous accompagnera dans cette démarche.
À droite : Toshihiko Horiuchi, directeur général du Département des affaires africaines, Ministère des affaires étrangères du Japon
À gauche : Tadashi Yokoyama, directeur du bureau de l’IFC à Tokyo
L’IFC soutient le développement en Afrique en apportant des financements et des services de conseil dans de nombreux pays et secteurs, y compris les plus pauvres et les plus fragiles. En parallèle, elle entretient des partenariats étroits avec le gouvernement du Japon, les entreprises japonaises et les institutions publiques, à travers des fonds fiduciaires, des cofinancements et d’autres initiatives qui mobilisent des ressources financières et une expertise technique pour maximiser l’impact.