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Le démarrage en douceur des véhicules électriques en Afrique

avril 5, 2022

Jason Hopps

À Nairobi, j'ai vu presque tout ce qu'il est possible de voir.

La capitale du Kenya est une ville internationale de trois millions d'habitants, bouillonnante et dynamique, qui attire artistes, investisseurs, touristes et négociants du monde entier. De grands immeubles s'élèvent à un rythme effréné et les routes à plusieurs voies qui sillonnent la métropole sont congestionnées par les voitures et les bus qui, pour la plupart, recrachent d'épais nuages de gaz d'échappement.

En revanche, il y a une chose que je n'ai pas vue à Nairobi : des voitures ou des bus électriques. Pas une Tesla, pas une Prius. Il n'y avait pas non plus des motos ou des scooters électriques. Jusqu'à récemment du moins, car les choses commencent à bouger.

Depuis des années, je suis séduit par les promesses des véhicules électriques, ou VE, comme on les appelle. Silencieux, propres et élégants, ils sont l’incarnation d’un avenir plus vert (même s'ils dépendent encore largement des combustibles fossiles pour la charge de leurs batteries...).

Quand je rentre au Canada ou que je me rends en Europe et aux États-Unis, je suis étonné de voir à quelle vitesse les VE se sont imposés. Lors d'un récent voyage à Londres, presque tous les VTC que j'ai pris étaient des véhicules électriques. Bon nombre de mes amis et des membres de ma famille achètent des voitures électriques, non seulement pour les économies à long terme et les avantages pour l'environnement, mais aussi parce qu'elles ont belle allure et qu'elles fonctionnent bien.

Ce mouvement a été rendu possible par les progrès rapides de la technologie, associés à des incitations gouvernementales et au développement des infrastructures, notamment les stations de recharge qui fleurissent désormais dans les villes du monde entier.

Mais pas à Nairobi. Et, à quelques exceptions près, pratiquement nulle part en Afrique. Il y a de bonnes raisons à cela.

L'électricité est chère et notoirement peu fiable dans la majeure partie du continent. Les distances sont grandes — la superficie du Nigéria seul est presque trois fois celle de l'Allemagne — et les infrastructures pour charger et entretenir les VE n'existent pas encore.

La démographie et le climat, moteurs de la voiture électrique

Les enjeux démographiques et climatiques vont favoriser l'essor des VE sur le continent. La population de l'Afrique devrait doubler pour atteindre 2,5 milliards d'habitants d'ici 2050, ce qui entraînera une hausse du nombre de véhicules sur les routes à mesure que le niveau de vie s'élèvera. Les gouvernements africains savent que les dérèglements climatiques engendreront des coûts financiers, sanitaires et sociaux de plus en plus lourds et que les véhicules sont une source croissante de pollution par les combustibles fossiles.

Pour mieux comprendre pourquoi les VE sont encore rares en Afrique — et aussi pour savoir quand espérer les voir circuler en nombre dans les rues de Nairobi —, je me suis entretenu avec Kartik Gopal, spécialiste principal du secteur des véhicules électriques à IFC.

Il connaît très bien ce secteur, car il a été responsable de la stratégie d'un constructeur automobile spécialisé dans les VE et travaillé avec des sociétés de conseil et le PNUD pour développer le marché de ces véhicules.

Pendant notre entretien, nous avons parlé du documentaire Qui a tué la voiture électrique ?, qui déplorait en 2006 la disparition des VE.

« C'était un très bon film pour l'époque, analyse Kartik Gopal. Mais moins de 20 ans plus tard, les pays riches ont rapidement pris ce virage technologique… En fait, la Norvège est déjà électrique à 80 % et d'autres pays s'en rapprochent. »

En ce qui concerne l'Afrique, il énumère de nombreux obstacles qui freinent l'essor du véhicule électrique. Outre les problèmes d'accès à l'électricité et d'infrastructure de chargement, il cite la longue durée d'amortissement des VE personnels et l'absence quasi totale de subventions des gouvernements africains pour soutenir le marché.

Cela ne veut pas dire pour autant que l’avenir de l'électrique est limité.

Selon lui, ce sont les VE pour les transports en commun et de marchandises qui ouvriront probablement la voie en Afrique. Puis, à la suite de la conversion électrique des flottes de bus dans les grandes villes, les équipements et les compétences se généraliseront, ce qui favorisera l'émergence des VE pour la mobilité personnelle, notamment les scooters et les motos.

Les deux-roues en approche

Dans un gigantesque entrepôt de la banlieue de Nairobi, l'équipe d'ARC Ride attend avec impatience la prochaine livraison de centaines de deux-roues électriques en provenance d'Inde.

Jason Hopps, à gauche, aux côtés d'employés d'ARC Ride à Nairobi dans leur entrepôt, qui recevra bientôt de nouvelles livraisons de véhicules électriques.
Jason Hopps, à gauche, aux côtés d'employés d'ARC Ride à Nairobi dans leur entrepôt, qui recevra bientôt de nouvelles livraisons de véhicules électriques. Crédit photo : Jason Hopps

L'entreprise ARC — acronyme en anglais de « Affordable, Reliable and Clean » (abordable, fiable et propre) — est l'une des nombreuses start-up africaines qui cherchent à créer un marché pour les VE au Kenya et ailleurs sur le continent. Lancée en 2020 dans l'espoir que les deux-roues électriques finiront par s'imposer dans les espaces urbains d'Afrique, ARC conçoit ses propres véhicules, mais se procure des pièces au Japon, en Chine et en Inde. La recherche et le développement, l'assemblage, les ventes et le marketing sont basés au Kenya.

« Nous prévoyons de commercialiser 4 000 véhicules cette année au Kenya, tout en installant des stations de recharge et d'échange de batteries, puis 10 000 en 2023, déclare Moses Nderitu, directeur général d'ARC. Notre projet est de nous étendre au Rwanda, à la Tanzanie et à l'Ouganda, et de nous procurer davantage de pièces au niveau local. Comme vous voyez, nous avons de grandes ambitions. »

Il précise que le Rwanda est un marché particulièrement porteur pour les VE, compte tenu de droits d'importation réduits et du nombre croissant de sites de recharge sous gestion publique.

Les deux-roues électriques d'ARC peuvent parcourir environ 70 kilomètres avec une seule charge et la batterie peut être facilement remplacée. L'entreprise n'a pas souhaité donner de détails sur ses prix, mais indique qu'ils seront « compétitifs ». L'un des principaux marchés cibles au Kenya est celui des exploitants de motos-taxis, appelés ici boda boda, qui transportent des passagers dans les villes en se faufilant habilement dans les embouteillages.

« Les conducteurs de boda boda parcourent approximativement 140 kilomètres par jour. Avec nos véhicules, ils ne devront changer de batterie qu'une seule fois, ajoute Moses Nderitu. Une fois que nous aurons installé de nombreuses stations d'échange à Nairobi et dans d'autres villes, il sera très facile — et abordable — pour eux d'utiliser leur moto. »

Outre ARC Ride, citons aussi Opibus, une entreprise suédo-kényane qui s'est associée à Uber pour fournir 3 000 motos électriques à ses chauffeurs au Kenya, et Basigo, qui a récemment lancé un bus électrique de 25 places avec une autonomie de 250 kilomètres.

Les modèles de financement

À mesure que les fabricants de VE déploient leurs activités en Afrique, les banques de développement et les institutions de financement internationales s'intéressent elles aussi aux possibilités d'investissement dans ce domaine.

L'une d'entre elles est la société panafricaine de financement M-KOPA, qui a aidé des millions de personnes à acheter des kits solaires ou des smartphones et à obtenir des prêts. J'ai interrogé le PDG et cofondateur de M-KOPA, Jesse Moore, sur les VE. Il est enthousiaste :

« Les véhicules électriques, en particulier les deux-roues, constituent un formidable marché qui, selon nous, va connaître une croissance exponentielle au Kenya et dans d'autres régions d'Afrique, explique-t-il. M-KOPA a des projets pour soutenir ce marché et nous prévoyons d'annoncer des partenariats très prochainement. »

IFC, de son côté, évalue actuellement la capacité de cinq villes africaines à soutenir des programmes de bus électriques, et examine également différents aspects connexes, y compris les droits d'importation, les normes de chargement, ainsi que les questions d’inclusion sociale et de genre dans le secteur.

Ces évolutions sont prometteuses et laissent entrevoir un avenir solide pour les VE en Afrique. Néanmoins, le concept de transport électrique est tout juste émergent à Nairobi. Les VE vont-ils gagner du terrain en Afrique ? J'ai posé la question à mon conducteur de boda boda habituel, Nicholas Kearg.

Nicholas Kearg, conducteur de boda boda, aimerait troquer sa moto à essence contre un véhicule électrique.
Nicholas Kearg, conducteur de boda boda, aimerait troquer sa moto à essence contre un véhicule électrique. Crédit photo : Jason Hopps

Le chauffeur de boda boda paye aujourd'hui environ 700 shillings par jour pour l'essence (environ 6 dollars), contre 300 shillings il y a seulement un an. Avec ses autres frais, notamment l'huile et les filtres, son bénéfice se réduit à peau de chagrin, et il doit effectuer davantage de trajets par jour uniquement pour rentrer dans ses frais.

Il était emballé lorsque je lui ai décrit les avantages des véhicules électriques.

« Si je pouvais réduire les frais et avoir un deux-roues fiable, je sais que je passerai à l'électrique, affirme-t-il. Cela ne me dérangerait pas de payer un peu plus pour en acheter un, car pour l'instant, je gagne à peine ma vie. Quand pourrai-je avoir une de ces motos ? »

Si l’on en croit les spécialistes, il n'aura pas à attendre bien longtemps.

Basé à Nairobi, Jason Hopps est chargé de communication pour IFC.

Publié en avril 2022