En Afrique, des centaines de millions de familles vivent encore dans l’obscurité. En Afrique subsaharienne, cela représente 565 millions de personnes – soit 41 % de la population. Mais un nouveau modèle de production solaire, plus rapide, plus abordable et plus flexible, est en train de changer la donne.
Dans le cadre de Mission 300, une initiative du Groupe de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement visant à fournir l’électricité à 300 millions de personnes de la région d’ici 2030, des acteurs innovants comme Scatec, fournisseur de solutions d’énergie renouvelable, jouent un rôle clé.
Nous avons échangé avec Hans Olav Kvalvaag, directeur général de l’initiative Release by Scatec, sur la manière dont les systèmes solaires et batteries modulaires de l’entreprise aident les services publics à renforcer leurs infrastructures énergétiques, tout en accélérant la transition du continent vers des sources d’énergie plus propres.
Directeur général de l'initiative Release by Scatec
Note : interview originale réalisée en anglais et traduite en français
Selon vous, comment Release by Scatec va-t-elle évoluer dans les années à venir pour soutenir l’électrification et la transition énergétique de l'Afrique ?
La croissance économique de l’Afrique repose sur une énergie fiable, accessible et abordable. Sans elle, les industries ne peuvent pas prospérer et les emplois ne peuvent pas se développer. C’est pourquoi Release by Scatec s’engage à fournir des solutions énergétiques évolutives capables de répondre aux besoins du continent dès aujourd’hui.
Nous disposons déjà de projets opérationnels au Cameroun et au Soudan du Sud, où nos systèmes améliorent la fiabilité et génèrent des économies importantes en devises en réduisant les importations de diesel. Des projets similaires sont désormais en préparation au Liberia, en Sierra Leone, au Tchad et à São Tomé-et-Príncipe, entre autres.
Notre objectif est simple : être un partenaire de confiance pour chaque service public africain ou grande entreprise minière souhaitant réduire ses coûts d’électricité et maîtriser sa propre production d’énergie. Nous voyons un potentiel de croissance considérable. Avec environ 300 millions de dollars de financement sécurisé, nous nous développons rapidement — et nous recherchons des capitaux supplémentaires pour répondre à la demande croissante en énergie propre et produite localement sur le continent.
Comment votre modèle économique s’aligne-t-il avec le besoin urgent de l’Afrique d’accroître l’accès à des solutions énergétiques évolutives et durables ?
Dans de nombreux pays africains, l’électricité provient encore de générateurs thermiques inefficaces, souvent alimentés par des carburants importés. Ceux-ci produisent de l’électricité à un coût trois à cinq fois supérieur à celui de l’énergie conventionnelle dans les pays de l’OCDE, ce qui fragilise la compétitivité économique et épuise les réserves en monnaie nationale.
Comme les services publics ne peuvent pas répercuter ces coûts élevés sur les consommateurs à faible revenu, ils opèrent souvent à perte, ce qui complique les investissements dans de nouvelles infrastructures. Le solaire et le stockage peuvent changer cette équation. Au cours des vingt dernières années, le coût du solaire a chuté de 90 %, en faisant la source d’énergie la moins chère dans la plupart des pays africains et compétitive par rapport aux coûts de l’électricité dans les pays développés.
Autre point crucial : nos solutions sont modulaires, ce qui nous permet de déployer des systèmes solaires et de stockage à proximité des lieux de consommation, même dans les zones isolées, réduisant ainsi le besoin d’extensions de réseau coûteuses.

Crédit photo : Release by Scatec
Comment votre approche permet-elle à l’Afrique de mieux répondre à ses besoins énergétiques que les solutions traditionnelles ?
Release by Scatec repose sur un modèle de location, qui permet aux services publics d’accéder à des systèmes solaires et de stockage par des contrats simples et de courte durée, garantis par la plateforme de garanties du Groupe de la Banque mondiale, la MIGA. Nous assurons le financement des projets ainsi que la performance lors de la construction et de l’exploitation.
Cette structure aide les services publics en difficulté financière, qui ne peuvent souvent pas assumer les coûts et responsabilités liés à la mise en place, à l’appel d’offres et à la négociation d’un contrat classique avec un producteur indépendant d’électricité (IPP). Elle fonctionne comme une solution transitoire, permettant aux services publics de développer des programmes IPP compétitifs à long terme.
Avec notre dispositif de « location avec option d’achat », les services publics paient un peu plus au départ, mais les coûts diminuent fortement avec le temps, et après 15 ans, la propriété leur est transférée sans frais supplémentaires. Contrairement à un IPP classique, cela leur permet de disposer d’un actif amorti au bilan.
Nos projets de 20 à 30 mégawatts peuvent permettre aux petits services publics d’économiser plus de 10 millions de dollars par an en réduisant leurs importations de carburant. La rapidité est essentielle pour réaliser ces projets à travers l’Afrique. Grâce à notre collaboration avec le Groupe de la Banque mondiale via IFC, nous avons standardisé la structure pour en assurer une mise en œuvre efficace.
Dans un contexte de risques climatiques croissants et de volatilité des marchés mondiaux de l’énergie, comment des solutions comme la vôtre renforcent-elles la capacité de l’Afrique à faire face à de tels chocs externes ?
Les dernières années ont montré à quel point les marchés mondiaux de l’énergie peuvent être volatils. Pour renforcer leur résilience, les pays doivent réduire leur dépendance aux importations coûteuses de carburant, qui fragilisent leurs économies nationales.
Développer la production d’électricité locale permet de gagner en contrôle, en prévisibilité et en autonomie. Cela favorise également la création d’emplois locaux et renforce les capacités techniques et d’ingénierie.
Parallèlement, il est essentiel de développer des pools énergétiques régionaux. La transmission transfrontalière améliore la redondance des réseaux en offrant plusieurs sources de production pour assurer un secours en cas de panne. Elle permet également d’optimiser l’utilisation des énergies renouvelables et de mieux gérer le défi de continuité qu’impose leur caractère intermittent.
Avec la baisse des coûts du solaire et du stockage, une production domestique compétitive devient aujourd’hui accessible à tous les pays africains. Grâce à Release by Scatec et à d’autres innovateurs, les centrales électriques distribuées peuvent fournir des services fiables et abordables à court terme, tout en posant les bases de réseaux régionaux interconnectés et résilients, soutenus par les investissements indispensables dans les infrastructures de réseau et de transmission.
Comment comptez-vous étendre Release by Scatec sur les marchés africains malgré la diversité des contextes réglementaires, financiers et infrastructurels ?
La scalabilité fait partie de notre ADN. En travaillant directement avec les services publics et les autorités, et en s’appuyant sur leurs licences, terrains et permis existants, nous contournons de nombreuses contraintes réglementaires et retards qui freinent les projets traditionnels.
Release est financé au niveau de la plateforme par Scatec, Climate Fund Managers (un fonds d’investissement qui soutient les développeurs d’infrastructures dans les secteurs des énergies renouvelables, de l’assainissement de l’eau et de l’océan), et IFC. Cela évite le financements projet par projet et permet plus de flexibilité pour les extensions de capacité. Au Cameroun, par exemple, 28 MW de solaire PV et 19 MWh de stockage sont ajoutés en phase 2, par un simple amendement au contrat de location existant.
Comment l’expérience mondiale de Scatec contribue-t-elle à son succès en Afrique ?
Faire partie de Scatec nous donne accès à une expertise mondiale et à un réseau de soutien que nous pouvons mobiliser partout en Afrique. Nous partageons bureaux, infrastructures et systèmes opérationnels, et nos équipes bénéricient de l’expérience de Scatec en ingénierie, approvisionnement, développement technologique, juridique, fiscal, ainsi qu’en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Nous profitons également du centre de suivi des opérations mondiales de Scatec basé en Afrique du Sud, qui soutient 45 projets dans le monde.
Notre particularité : avoir adapté cette expérience aux réalités africaines. En collaboration avec le Groupe de la Banque mondiale via IFC, nous proposons un modèle de financement et de garanties adapté aux pays plus petits et à faibles revenus d’Afrique subsaharienne.
Quels obstacles freinent encore l’investissement privé dans les infrastructures d’énergie propre en Afrique ?
Le principal obstacle réside dans le risque lié aux contreparties et aux paiements. Nous sommes prêts à assumer le risque de construction, mais des rendements prévisibles sont essentiels pour attirer des investissements à long terme. De nombreux services publics sont en difficulté financière, ce qui décourage les investisseurs.
Notre solution atténue ce risque grâce à des équipements mobiliers propriétaires et à la structure de garanties fournie par la MIGA [Agence multilatérale de garantie des investissements]. Cependant, pour libérer pleinement le potentiel du capital privé, en particulier pour les mini-réseaux, nous avons besoin de meilleures structures de garanties de la part des institutions multilatérales.
Les solutions solaires et de stockage modulaires et abordables doivent être déployées en grande quantité pour aider les services publics à stabiliser leurs finances et réduire le risque global.
Comment vos projets contribuent-ils, au-delà de l’accès à l’électricité abordable, au développement des économies et des communautés locales ?
Chaque projet Release by Scatec repose sur une participation active des communautés. Selon l’ampleur du projet, la phase de construction emploie de 100 à 300 personnes, dont de nombreux travailleurs locaux issus des villages et communautés voisines.
Nous organisons aussi des programmes de formation avec les services publics pour transmettre les connaissances en matière d’exploitation et de gestion, afin que les équipes locales puissent gérer les systèmes longtemps après leur installation. Pendant l’exploitation, nous faisons appel au personnel local pour la sécurité, la maintenance et de nombreux autres services. Cette approche ne se limite pas à fournir de l’électricité : elle développe les compétences, renforce les communautés et contribue à promouvoir une croissance durable et inclusive à travers l’Afrique.
Cependant, la création directe d’emplois n’est qu’un effet secondaire. Le véritable impact réside dans la fourniture d’une électricité fiable, qui constitue le pilier permettant aux entreprises locales de prospérer et de recruter davantage. Dans le nord du Cameroun, par exemple, une cimenterie locale a pu retrouver sa pleine capacité, réintégrant plus de 100 personnes. Les petites et moyennes entreprises locales ont également fortement augmenté leur production.
Les entreprises ne peuvent pas se développer dans l’obscurité.
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