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En Haïti, les liens avec le secteur privé stimulent les revenus des agriculteurs

février 13, 2024
Jusqu'à récemment, les produits haut de gamme comme les tomates cerises étaient tous importés. Kettelie montre les tomates cerises cultivées dans sa ferme en Haïti. Photo : Nadia Todres

Daphna Berman et Ivy Kuperberg

  • L'agriculture représente 25 % du PIB d'Haïti et emploie la moitié de la population active, mais les agriculteurs ont du mal à gagner leur vie et à accéder aux marchés de produits haut de gamme.
  • Les petits exploitants agricoles du pays reçoivent des semences de haute qualité ainsi qu'une formation aux techniques modernes de plantation et de récolte pour cultiver des produits de qualité supérieure.
  • L'accès direct des agriculteurs aux marchés formels réduit leur exposition aux risques liés aux déplacements vers des marchés informels plus éloignés.

Kettelie*, une agricultrice des montagnes surplombant Port-au-Prince, en Haïti, se souvient de sa première récolte de tomates cerises, lorsque des voisins bien intentionnés se sont précipités dans ses champs, paniqués, pour voir ce qui n'allait pas et lui dire « Quelqu'un a réduit la taille de tes tomates ».

Ses voisins ont cessé de s'inquiéter, s'est-elle souvenue récemment, lorsqu'ils ont constaté la rapidité avec laquelle elle a pu vendre ces petits fruits à un agrégateur de produits locaux qui approvisionne les meilleurs hôtels, restaurants et supermarchés de la ville.

Jusqu'à récemment, les produits haut de gamme comme les tomates cerises étaient tous importés, mais cela commence à changer, grâce à un projet de conseil en horticulture d'IFC en Haïti, qui relie les petits exploitants haïtiens comme Kettelie à GreenFresh S.A, une entreprise locale spécialisée dans la production et la commercialisation de légumes de haute qualité. Le projet qui est soutenu par le guichet du secteur privé du Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (GAFSP), travaille en étroite collaboration avec SOHADERK, une association agricole locale, et FONHDAD, la Fondation haïtienne de développement agricole Ddurable. Il fournit aux agriculteurs une formation et des intrants, tout en stimulant la production nationale et en produisant des revenus durables pour un secteur qui emploie la moitié de la population haïtienne. Le guichet du secteur privé du GAFSP est soutenu par les gouvernements de l'Australie, du Canada, du Japon, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et des États-Unis.

Le projet, par l'intermédiaire de GreenFresh SA, vend des produits de haute qualité aux supermarchés et à d'autres clients pour remplacer les produits importés, afin de stimuler la production locale et de réduire la demande de devises étrangères. En outre, les produits importés sont souvent imprévisibles en raison des fermetures de frontières, des perturbations au port et de l'instabilité politique en général. Selon Jean Robert Estimé, directeur de GreenFresh, l'entreprise est gagnante, car elle a besoin d'une source stable, prévisible et locale de fruits et légumes de haute qualité, pour les vendre aux supermarchés, aux hôtels et aux restaurants.

« Le partenariat avec IFC et les agriculteurs locaux nous aide à gérer notre chaîne de valeur et à garantir l'accès à des produits de haute qualité », déclare-t-il. « En travaillant avec les agriculteurs, en leur fournissant des intrants et des formations et en leur donnant des informations sur les besoins du marché, nous incitons les agriculteurs à entretenir des relations à long terme avec nous. »

 

Ferme Lafevre Des semences de haute qualité et une formation aux techniques de plantation et de récolte contribuent à la production de produits de première qualité. Photo : Nadia Todres.

 

L'agriculture contribue à hauteur de 25 % au PIB d'Haïti et emploie la moitié de la main-d'œuvre, mais l'insécurité alimentaire est élevée et près de la moitié de la population est classée dans cette catégorie. Bien que les marchés soient bien approvisionnés et que la nourriture soit abondante, les prix sont supérieurs à ce que la plupart des Haïtiens peuvent se permettre. Les luttes permanentes contre l'instabilité politique, la violence des gangs et la vulnérabilité aux conditions météorologiques extrêmes ont aggravé les défis auxquels est confronté le secteur agricole du pays. Kettelie, par exemple, a été agricultrice toute sa vie, mais ces dernières années, elle a eu du mal à subvenir aux besoins de ses deux enfants.

« Haïti a un système alimentaire incroyablement complexe avec de multiples crises institutionnelles et sectorielles, et il est donc très difficile pour les agriculteurs de générer des revenus », indique Kenel Cadet, coordinateur à la FONHDAD, la Fondation haïtienne pour le développement agricole durable, qui assure la formation des agriculteurs dans le cadre du projet. C'est pourquoi, selon M. Cadet, le projet a été conçu pour répondre à ces défis sous différents angles : il fournit des formations et des intrants, tout en créant un accès direct au marché pour les agriculteurs.  En travaillant avec des acheteurs officiels, par exemple, Kettelie est en mesure de réduire le risque de se rendre sur des marchés informels plus éloignés, en empruntant des routes où règnent la violence des gangs et les enlèvements.

« Les services de vulgarisation axés sur le marché sont essentiels pour aider les agriculteurs à augmenter leur production et leur donner un accès direct aux marchés qu'ils ne pourraient pas atteindre autrement », ajoute M. Cadet. Selon lui, l'amélioration des revenus des agriculteurs est essentielle pour renforcer la sécurité alimentaire et l'indépendance économique. Le projet travaille donc en étroite collaboration avec les agriculteurs, en leur fournissant des semences de haute qualité et en les formant aux techniques modernes de semis et de récolte. Il enseigne également l'agriculture en tant qu'entreprise, en aidant les agriculteurs à acquérir des outils leur permettant de faire face aux incertitudes économiques et politiques et de mieux gérer les chocs, tout en produisant une récolte compétitive par rapport aux importations. 

Charles, un cultivateur de poivrons et de choux du village de montagne de Robin, dit qu'il a appris à être plus résistant. « Dans le passé, lorsque des parasites dévastaient ma récolte, je me décourageais vraiment. Grâce à ce projet, je sais maintenant comment éviter cela. Le projet m'a beaucoup appris sur la commercialisation et le crédit», nous dit-il. Et de poursuivre : « Maintenant, je peux subvenir aux besoins de ma famille. »

 

Ferme Lafevre Les petits exploitants agricoles reçoivent une formation sur la gestion post-récolte, la sécurité alimentaire, le stockage et l'emballage. Photo : Nadia Todres.

 

Dans le cadre de ce programme, les agriculteurs reçoivent une formation sur la gestion post-récolte, la sécurité alimentaire, le stockage et l'emballage appropriés afin que GreenFresh et les hôtels et restaurants qu'ils approvisionnent reçoivent des produits exempts de contaminants, d'imperfections ou de lésions.  Les agriculteurs apprennent également à cultiver des produits haut de gamme comme les tomates cerises, le chou rouge, le brocoli et des variétés spéciales de laitue, qui sont généralement importés.

Selon Colomb Louisma, agronome et directeur technique à la SOHADERK, l'un des partenaires de formation du projet, les résultats du projet sont jusqu'à présent prometteurs : les agriculteurs diversifient leur production de légumes tout en doublant les rendements.  « Les agriculteurs produisent plus et perdent moins en termes de pertes post-récolte. » Et d'ajouter : « Le projet donne aux agriculteurs la possibilité de devenir plus autosuffisants et d'atteindre un marché de première qualité, ce qu'ils n'auraient jamais pu faire auparavant. Il donne aux agriculteurs l'assurance que quelqu'un leur achètera leurs produits. »

La formation aide également les agriculteurs à livrer à GreenFresh pendant la saison sèche, créant ainsi une source de revenus fiable et durable pour eux et contribuant à prévenir la saturation du marché pendant la saison des pluies, lorsque les prix chutent.  SOHADERK a permis aux agriculteurs d'utiliser leur serre tout au long de l'année.

Pour Kettelie, le projet a été transformateur. « Il nous a montré à quel point il est important qu'Haïti soit autosuffisant. Plus nous produisons en Haïti, plus l'argent reste en Haïti, ce qui nous permet de prendre soin de nos enfants, de nos familles et de notre communauté. »

Son mari, Josué, également agriculteur dans le cadre du programme, est d'accord.  « Haïti a beaucoup de gens qui veulent travailler dur. Le pays est très difficile, mais avec le soutien adéquat, nous pouvons faire beaucoup. »

 

* Comme d'autres agriculteurs cités dans l'histoire, Kettellie n'est identifiée que par son prénom pour des raisons de sécurité.