Daisy Serem
Petite fille, Kasturi Chellaraja Wilson n'aurait jamais imaginé qu'elle serait un jour à la tête de l'une des principales entreprises du Sri Lanka, Hemas Holdings PLC, et première femme PDG du pays. Élevée dans un milieu modeste à Colombo, elle a constamment surmonté les préjugés, donnant le meilleur d'elle-même à toutes les étapes de sa carrière, y compris dans les équipes nationales féminines de basket et de volley-ball. Aujourd'hui, c'est une chef d'entreprise avant-gardiste, déterminée à aider de plus en plus de femmes à gravir les échelons de la hiérarchie. Kasturi Chellaraja Wilson s'est entretenue avec Daisy Serem, d'IFC Insight, pour parler du thème de la campagne qui sert de fil rouge à la Journée internationale des femmes 2023 : l'équité.
Vous avez mené une brillante carrière, devenant la première femme PDG d'un groupe coté en bourse au Sri Lanka. Quels ont été les moments déterminants qui ont jalonné votre parcours ?
Je suis la plus jeune d'une famille de deux filles. Je ne suis pas issue d’un milieu aisé, mais mes parents nous ont encouragées à suivre notre propre voie, sans nous cantonner au rôle traditionnel dévolu aux filles. J'étais donc une enfant assez libre et dégourdie. Je me suis mariée à 22 ans et j'ai pensé que ma carrière allait s'arrêter quand j'ai été enceinte, mais un employeur bienveillant m'a persuadée de ne pas démissionner et m'a permis de travailler à temps partiel. Même après la naissance de mes enfants, j'ai pu travailler à la maison, je ne voulais pas renoncer à mon rôle de mère.
À 29 ans, je suis devenue mère célibataire et ma trajectoire professionnelle a basculé. Tout a changé parce que je devais pouvoir subvenir financièrement aux besoins de mes enfants et leur offrir le meilleur avenir qui soit. Cela a renforcé mon ambition et j'ai recherché toutes les occasions de prendre des responsabilités. À chaque entretien d'embauche, je disais : « Je suis d'abord une maman et mes enfants passent avant tout, mais j'ai aussi beaucoup à vous apporter ». En 2002, j'ai rejoint le Groupe Hemas en tant que directrice financière du secteur des loisirs et grâce à ce que je leur avais dit lors de l'entretien, ils savaient que j'étais déterminée et motivée. Je n'ai jamais été la cible de préjugés au sein de l'entreprise.
Kasturi Wilson, petite fille, dans les bras de son père. Elle révèle que son éducation a façonné sa carrière et la chef d’entreprise qu'elle est aujourd'hui. Crédit photo : Kasturi Chellaraja Wilson
Vous avez reçu un soutien tout au long de votre carrière. Est-ce une illustration de l'équité dans le monde du travail ?
Je ne serais pas à la tête de mon entreprise aujourd'hui sans équité. Le terme d'équité signifie que chaque personne est unique, non seulement en tant qu'individu, mais aussi par rapport à sa situation.
Comment permettre et aider les employés à s'épanouir dans leur singularité ? Mon entreprise avait la réponse : elle m'a permis d'être la meilleure incarnation de moi-même. Huit ans après mon recrutement, je dirigeais le transport, la logistique et les services maritimes, un secteur à prédominance masculine. Je n'ai pas été victime de stéréotypes et c'est comme cela que j'ai pu devenir PDG. L'entreprise me considérait comme une personne compétente et pas seulement comme une femme. Je n'ai pas ressenti le besoin de m'excuser d'être une femme ou une mère célibataire.
Était-ce difficile de s'intégrer dans des milieux dominés par les hommes et d'exercer des fonctions de direction ?
Par moments, je me disais que je n'étais pas comme ces hommes en costume-cravate. Je pense différemment. Je parle différemment. Je suis sensible. Devais-je essayer de ressembler davantage aux hommes ? Finalement, j'ai décidé d'être moi-même, parce que c'est mieux pour moi et pour les autres. On ne peut pas être quelqu'un d'autre. J'ai donc commencé à me sentir à l'aise en étant moi-même.
Ce que j'ai apporté à l'entreprise, c'est mon leadership, ma capacité à obtenir le meilleur des personnes qui m'entourent et à leur donner une vision claire de la situation. On me considère comme une patronne exigeante, mais bienveillante. J'assume fièrement tous ces qualificatifs, parce que c'est ce que je suis.
Pour beaucoup de femmes, faire carrière et occuper des postes de direction est souvent compliqué, en raison notamment des discriminations, des obstacles culturels et du manque d'options pour la garde des enfants. Que devons-nous faire pour aider les femmes à surmonter ces difficultés ?
Dans ma culture, les femmes sont élevées pour s'occuper de leur foyer, de leurs enfants, de leurs parents et de leurs beaux-parents. En revanche, on élève les hommes dans l'idée qu'ils réussiront s'ils ont un bon emploi, un titre officiel, une voiture et de l'argent. Combien d'entre nous admirent un homme qui s'occupe du foyer, y compris la cuisine et le ménage, pendant que sa femme travaille ? Tant que nous ne nous serons pas attaqués à ces préjugés culturellement enracinés, la société ne progressera pas.
Chez Hemas, nous sommes constamment à la recherche des talents féminins qui sont souvent ignorés, nous essayons de savoir où se trouve les potentiels et comment nous pouvons aider ces femmes à gravir les échelons. Nous avons également des politiques qui permettent aux femmes de travailler à domicile et offrent un congé de maternité prolongé.
Toutefois, pour aider les femmes à rester dans le monde du travail, nous devons également inciter les hommes à jouer un rôle actif dans les tâches familiales. Nous encourageons la parentalité inclusive afin que les jeunes cadres et dirigeants masculins puissent rentrer chez eux pour s'occuper de leurs enfants, et c'est extraordinaire. Cela donne aux femmes la liberté de prendre soin d'elles-mêmes, de travailler s'il le faut, ou de prendre des vacances. C'est tout ce noyau familial que nous essayons de changer de l'intérieur.
Kasturi Wilson et ses deux fils, Amrith Wilson (à gauche sur la photo) and Ashvindh Wilson (à droite). Crédit photo : Kasturi Chellaraja Wilson
Le monde traverse des crises multiples qui non seulement ralentissent la croissance économique, mais pourraient aussi entraver les progrès en matière d'égalité entre les sexes. Comment le secteur privé et les institutions financières peuvent-ils faire en sorte que les femmes ne soient pas laissées pour compte ?
Au Sri Lanka, les gens sont en butte à de graves difficultés économiques. Notre taux d'inflation est d'environ 60 % et les produits de première nécessité comme le carburant, l'électricité et l'eau sont réévalués au prix du marché. Cette situation provoque une insécurité alimentaire qui entraîne la malnutrition des enfants et leur déscolarisation. Par tradition, dans notre région, les femmes supportent les difficultés économiques sans se plaindre. Elles prennent en charge le bien-être de la famille, en sautant des repas ou en cumulant plusieurs emplois pour joindre les deux bouts.
Nous devons aider les femmes à surmonter cette crise en leur offrant la possibilité de créer des entreprises et d'améliorer leurs moyens de subsistance. Hemas vient de lancer un projet visant à soutenir les entreprises locales. Nous donnons nos produits aux femmes et nous les aidons à obtenir les fonds et les compétences nécessaires pour devenir nos vendeuses à domicile. Des institutions comme IFC peuvent travailler avec le secteur privé, entre autres les établissements financiers, pour aider les femmes entrepreneures et développer des projets qui investissent dans les petites entreprises.
Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui aspirent à faire carrière dans les marchés émergents ?
Tracez votre voie étape par étape pour arriver là où vous le souhaitez. Quand j'étais jeune, je voulais exceller dans la comptabilité. Vous devez tout faire pour vous épanouir dans vos fonctions, en étant vous-même et en conservant votre singularité. Comme je le dis toujours : « Je porte haut ma couleur de peau. J'ai la peau foncée et j'en suis fière. »
Publié en mars 2023