Brian Beary
Il y a tout juste deux ans, les universités du monde entier ont fermé leurs portes au début de la pandémie et se sont lancées dans une expérience inédite : assurer 100 % de leurs enseignements à distance. Les résultats ont été mitigés, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, mais toutes ces universités s'accordent à dire que les cours en ligne s'imposent comme un modèle pérenne.
Reste à savoir comment procéder le plus efficacement possible, de manière à obtenir les meilleurs résultats pour les étudiants, les établissements et les employeurs locaux.
Les responsables universitaires des marchés émergents constatent que le rôle du secteur privé dans l'enseignement supérieur s'est considérablement accru au cours des deux dernières années, tant du point de vue de l'offre que de la demande : d'une part, les universités sont des fournisseurs de solutions en ligne et, d'autre part, elles sont à l'écoute des employeurs qui recherchent des diplômés possédant les compétences dont ils ont besoin.
Ils ajoutent que la pandémie de COVID-19 a non seulement accéléré le mouvement vers l'apprentissage en ligne, mais qu'elle a aussi élargi le public désireux de suivre une formation ciblée pour se préparer aux emplois de demain.
En matière d'offre, les plus grandes leçons de la pandémie ont été plutôt concrètes, déclare Jackline Chibai, directrice de la stratégie et de l'assurance qualité à l'université Strathmore, au Kenya. L'université devait s'assurer que les étudiants disposaient d'un ordinateur portable ou d'un autre appareil mobile et qu'ils pouvaient se connecter à internet. « Les gouvernements, les bailleurs de fonds et les universités doivent prendre conscience que ce n'est plus une option, mais une exigence de base pour tous les étudiants ».
Jackline Chibai. Crédit photo : Université Strathmore
Cliente d'IFC, l'université Strathmore avait commencé à fournir des ordinateurs portables à tous ses étudiants avant même la pandémie et s'est organisée pour qu'ils bénéficient de forfaits internet subventionnés.
Cependant, offrir aux étudiants un ordinateur portable et une connexion internet n'est que la première étape de la mise en place d'un environnement propice à un apprentissage numérique réussi, et ce d’autant plus que cet outil n'existait même pas il y a à peine vingt ans... À mesure que l'on comprend mieux les raisons qui incitent des individus à suivre des cours à distance — et quelles sont les méthodes d'apprentissage numérique qui donnent les meilleurs résultats —, l'offre des prestataires de formation du secteur privé évolue.
Et certaines de ces leçons proviennent des étudiants eux-mêmes.
Collins Okoh, de nationalité nigériane, est arrivé au Kenya en 2018 pour suivre un cursus de droit sur le campus de l'université Strathmore. Le confinement consécutif à la pandémie a débuté en pleine période des examens de deuxième année. Collins était déjà équipé d'un ordinateur portable fourni par Strathmore et utilisait certaines plateformes d'apprentissage en ligne, par exemple, pour la préparation des devoirs à rendre et la lecture d'articles spécialisés.
Quand l'enseignement est passé à 100 % en ligne, il a continué à étudier, chez lui ou dans un parc. Aujourd'hui, de retour sur le campus pour sa dernière année, il estime que les deux modèles ont des avantages et des inconvénients.
« Ce qui fait une université, ce sont les personnes, les installations et la culture dont on bénéficie en interagissant avec les autres. Lorsque vous passez au tout en ligne, tout cela disparaît, explique-t-il. Quand vous êtes en cours, si quelqu'un fait une blague, toute la classe rigole. Cela n'arrive pas lorsque le micro de chacun est coupé. Et puis, en cours, je peux bouger. Si quelqu'un pose une question à ma gauche ou à ma droite, je peux me tourner pour le regarder. »
L'autre option, poursuit-il, est plus compliquée, surtout « le fait d'être seul dans une pièce, dans la même position, toujours à regarder un écran, des cours aux devoirs en passant par les travaux en groupe. À un moment donné, j'ai commencé à avoir mal au dos. » L'enseignement à distance peut aussi se prêter aux distractions : « Votre téléphone sonne pendant le cours, mais vous répondez parce que vous savez que vous pourrez regarder l'enregistrement plus tard. Cela se répercute sur la gestion du temps. Au lieu de dormir huit heures, vous regardez des enregistrements. »
Cela étant, Collins a aussi un avis positif sur l'apprentissage en ligne. « J'ai commencé à écrire mon premier article qui a été publié dans une revue parce que j'avais plus de temps, je n'avais pas à prendre les transports ni à me déplacer entre les salles de cours. » Et en effet, il a utilisé ce temps pour participer à un projet avec le Groupe de la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et la Facilité africaine de soutien juridique (ALSF), qui consistait à gérer un atlas de la législation minière africaine.
Quand on lui demande ce qui fonctionne le mieux, les cours en présentiel ou en ligne, Collins répond : « Moi je pense que le mieux, c'est une solution hybride. »
Au Kenya, Jackline Chibai a constaté que de nombreux étudiants africains préfèrent aujourd'hui apprendre à leur propre rythme, à partir de leurs propres sources. « Leur prof, c'est YouTube. Et ils veulent un retour rapide sur leurs évaluations, puisque tout est au bout de leurs doigts. Le grand défi pour les universités comme Strathmore est de faire en sorte de rester dans la course. »
Chip Paucek, cofondateur et directeur général de 2U, société mère de la plateforme mondiale d'apprentissage en ligne edX, partage le point de vue de Jackline Chibai à propos des étudiants qui recherchent des modes d'enseignement plus flexibles. Lui et son équipe travaillent avec des écoles et des universités à but non lucratif du monde entier pour créer des cours dédiés aux cadres supérieurs, des ateliers et des programmes diplômants en ligne de grande qualité.
Chip Paucek. Crédit photo : 2U
« La pandémie a non seulement accéléré l'adoption de l'apprentissage à distance, mais elle a aussi déplacé de façon permanente la dynamique de pouvoir dans l'enseignement supérieur vers les consommateurs. Ils sont en train de devenir la force dominante, a expliqué Chip Paucek lors de la récente téléconférence de présentation des résultats trimestriels de 2U. Ils ont plus de choix par rapport à ce qu'ils veulent apprendre, quand, où et comment. Ils recherchent davantage de flexibilité et d'adéquation à leurs attentes, privilégient la commodité et l'accessibilité financière, et choisissent de plus en plus les options en ligne. »
Jesús Lanza, directeur de la société mexicaine Lottus Education, estime que l'analyse des performances basée sur les résultats est essentielle pour créer de meilleurs produits d'apprentissage numérique.
« Nous avons besoin de données actualisées et précises telles que des indicateurs clés de performance, les niveaux d'inscriptions et d'abandons, pour prendre des décisions, souligne-t-il. Pour une entreprise comme Lottus, qui est passée de 6 000 à 80 000 étudiants en six ans, il est fondamental de disposer d'une base de données simplifiée et harmonisée qui nous indique dans quelle mesure nos étudiants sont satisfaits du service que nous leur fournissons. » Lottus Education est l'un des principaux prestataires de formation du Mexique et un client d'IFC.
Dans l'ensemble du secteur, les universités privées recherchent l'aide et les conseils d'organisations telles qu'IFC pour développer leur offre en ligne. IFC a investi environ 600 millions de dollars dans l'enseignement supérieur sur les marchés émergents, en combinant investissements directs dans les établissements et investissements indirects dans les fournisseurs de technologies de l'éducation qui les assistent.
Pour renforcer l'efficacité de ces initiatives, IFC a lancé en 2020 le programme Digital for Tertiary Education (D4TEP). Ce programme aide les universités à prendre des décisions mieux étayées au fur et à mesure de leur trajectoire de numérisation.
Alejandro Caballero, spécialiste principal de l'éducation à IFC, explique le fonctionnement du programme : « Pendant 12 semaines, nous évaluons ce que chaque université participante a déjà mis en place et quels sont les projets en cours. L'objectif est d'élargir le champ des possibles et de trouver ensemble des "moments de vérité". De plus en plus, cela passe par la numérisation et une culture du changement. »
L'un des premiers participants au programme D4TEP a été Lottus, au Mexique. « Nous avons ciblé plus de 40 projets qui permettraient une transformation numérique. Nous avons ensuite établi des priorités, car certains éléments devaient être dématérialisés dès que possible, mais d'autres fonctionnaient bien tels quels et pouvaient rester en l'état », raconte M. Lanza.
Il explique aussi que de nombreux établissements ont un public étudiant hybride, certains assistant aux cours à la fois en présentiel et à distance. « Alors que le nombre total de nos étudiants en classe a chuté pendant la pandémie, il a augmenté en format hybride et en ligne. Il est intéressant de souligner que cette progression a été plus marquée dans le format hybride qu'entièrement en ligne. »
Ce qui se passe au Mexique est très similaire à ce qui s'est produit au Brésil au cours de la dernière décennie, « où la population étudiante est maintenant environ pour moitié en ligne et pour moitié en présentiel, ajoute M. Lanza. Je m'attends à ce que d'ici 2025 environ, la situation soit la même au Mexique où, à l'heure actuelle, la proportion est d'environ 15 %. »
Les universités africaines mettent l'accent sur l'employabilité des diplômés, selon Snehar Shah, directeur général de l'école Moringa au Kenya, spécialisée dans la formation aux compétences numériques intermédiaires. Il souligne que, jusqu'ici, les diplômés de l'université au Kenya ont du mal à entrer sur le marché du travail.
« Dans le pays, il faut en moyenne cinq ans aux titulaires d'une licence pour trouver un emploi, et ce pour deux raisons : ils manquent d'expérience pratique préalable à leur diplôme et les employeurs ne sont pas enclins à les embaucher, c'est pourquoi nous devons donner aux étudiants l'accès à de meilleures possibilités de formation. »
Afin de mettre sur pied des programmes qui contribueront à inverser cette tendance, Moringa a passé en revue les qualifications exigées par des géants de l'informatique comme Google, Microsoft et Amazon, de manière à aider ses étudiants à acquérir les compétences numériques les plus utiles sur le marché.
L'université Strathmore privilégie quant à elle l'établissement de contacts directs entre les étudiants et le secteur privé avant qu'ils obtiennent leur diplôme. « Nos étudiants doivent effectuer 320 heures de stage en entreprise, leurs résultats sont évalués et nous recevons un retour des employeurs », déclare Mme Chibai.
Elle ajoute qu'il est tout aussi important d'organiser un accompagnement plus personnalisé des étudiants. « Nous proposons depuis peu un nouveau service pour mettre les étudiants de dernière année en relation avec des mentors. Ce sont généralement des personnes qui travaillent dans le secteur correspondant au domaine étudié et ces mentors préparent les étudiants à la réalité du monde du travail. »
Publié en mars 2022