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L’Équateur mise sur un boom touristique

février 15, 2022

Mauricio González Lara

Si l’on en croit Augustin d’Hippone, « le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page ». S’il vivait aujourd’hui, saint Augustin, philosophe né le 13 novembre 354 à Thagaste, ville côtière du nord de l’Afrique dans un territoire qui appartient aujourd’hui à l’Algérie, aurait sans nul doute suggéré de se rendre en Équateur.

C’est du moins l’avis de Claudia Muzzi Turullols, directrice de l’édition latino-américaine des revues National Geographic et National Geographic Traveler. « Il est impossible de susciter une conscience environnementale de manière abstraite », explique-t-elle. « Personne ne s’intéresse à quelque chose sans se l’approprier, et pour la nature, la meilleure façon d’y parvenir est de vivre une intense expérience sensorielle. Un voyage en Équateur est, entre autres choses, l’occasion d’établir le contact avec la planète d’une manière incroyable et grandiose. »

Beaucoup en sont déjà conscients. En Équateur, le tourisme représente le quatrième revenu d’exportation hors pétrole et le premier parmi les services, pour une part de 5 % du PIB national. Même si ces revenus concernent surtout la zone des îles Galapagos, l’Équateur possède différents écosystèmes exceptionnels, depuis les zones côtières jusqu’aux hautes montagnes en passant par la forêt vierge, et 26 % de son territoire bénéficie d’un statut protégé. On y recense 2 477 espèces et cinq sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Malgré ces atouts, le nombre de touristes n’a que faiblement progressé au cours des dix dernières années, avec un potentiel touristique encore largement inexploité. La pandémie n’a pas arrangé les choses : comme dans d’autres pays d’Amérique du Sud où les recettes touristiques ont accusé une chute vertigineuse, en Équateur, le tourisme a été mis quasiment à l'arrêt au cours des deux dernières années.

Lever de soleil dans la ville de Quito et le volcan Cotopaxi.
Lever de soleil dans la ville de Quito et le volcan Cotopaxi. Crédit Photo : Fabricio Burbano/Shutterstock

Le tourisme, qui est une source d’emploi substantielle en Équateur, est trop important pour être négligé. En 2019, 408 800 Équatoriens avaient un emploi lié au tourisme ou à une activité connexe (soit 5,2 % de la population active), dont la moitié était directement employée par des agences de tourisme.

Tandis que les responsables gouvernementaux et les experts se demandent comment faire décoller le tourisme, une nouvelle étude d’IFC et de la Banque mondiale envisage les moyens de favoriser cet essor tout en tenant compte des exigences liées à la période post-pandémie et à la protection de l’environnement.

Une nouvelle cible : les travailleurs nomades

Selon le diagnostic du secteur privé (Creating Markets in Ecuador) publié en fin d’année dernière, le secteur touristique de l’Équateur est bridé par les mêmes contraintes que la croissance économique générale du pays : défaut de stabilité réglementaire, rigidité du marché du travail, environnement d’entreprise difficile et coût élevé du financement, ce dernier aspect étant particulièrement problématique pour l’industrie hôtelière qui a besoin d’un financement intensif sur le long terme.

« Parmi les goulets d’étranglement spécifiques à l’industrie touristique figurent la difficulté de trouver une main-d’œuvre qualifiée, la faiblesse de l’identité de marque, le manque de cohérence des investissements dans le domaine du marketing et de la publicité, la connectivité relativement faible du pays et le coût élevé des vols », remarque Zeinab Partow, économiste à la Banque mondiale, coautrice de l’étude.

Le ministère du Tourisme, qui vise 2 millions de visiteurs d’ici à 2025, a présenté à la fin du mois de janvier 2022 une nouvelle stratégie pour attirer les voyageurs avides de proximité avec la nature. « L’Équateur est la destination idéale pour le voyageur qui, après la pandémie, aspire à jouir de vastes espaces en toute sécurité, en particulier dans le domaine de l’écotourisme », affirme le ministre du Tourisme Niels Olsen.

Le gouvernement a mis sur pied une stratégie ambitieuse pour s’adapter au monde post-COVID. Il prévoit par exemple la délivrance de « visas nomades » pour attirer les étrangers qui peuvent travailler de n’importe où. Ces « nomades numériques » travaillent à distance, sans obligation de se rendre physiquement au bureau. La pandémie de COVID-19 a accéléré le développement de ce nouveau genre de tourisme et l’Équateur est bien décidé à en tirer parti.

Le secteur touristique pourrait aussi jouer un rôle important dans la réduction des inégalités en Équateur et dans toute l’Amérique latine. Dans une étude récente sur l’impact du tourisme en matière de lutte contre la pauvreté (Poverty Alleviation through Tourism Development: A Comprehensive and Integrated Approach) (2016), Robertico Croes et Manuel Rivera constatent les multiples effets positifs de l'activité touristique en Amérique latine. Ainsi l’augmentation du tourisme international en Équateur profite surtout aux ménages à plus faible revenu : une augmentation de 10 % du tourisme international induit, par exemple, une progression de près de 31 % des revenus de la population la plus vulnérable.

Des flux de revenus stables

Le tourisme présente de nombreux avantages par rapport à l’exportation de biens et services. Les revenus du tourisme peuvent être plus stables que ceux de la vente de marchandises (produits agricoles ou miniers). Les auteurs de l'étude constatent qu’il est possible d’appliquer des prix intéressants pour les produits touristiques parce qu’ils sont uniques et associés à une expérience qui n’est pas exportable. De plus, les coûts liés au transport et aux assurances sont peu élevés.

Parc national Sangay.
Parc national Sangay. Crédit Photo : Ammit Jack/Shutterstock

Roque Sevilla, président de Metropolitan Touring, l’une des principales agences de tourisme équatoriennes, partage cet avis. « L’économie équatorienne étant dollarisée, explique-t-il, nous ne sommes pas une destination bon marché par rapport aux pays qui peuvent dévaluer leur monnaie. Nous devons donc nous concentrer sur la qualité. »

De son point de vue, « au lieu de se focaliser sur une clientèle cherchant simplement à prendre du bon temps, le pays devrait adopter une stratégie à l’intention de touristes disposés à payer davantage pour vivre une expérience exceptionnelle, en proposant par exemple des tours personnalisés dans les îles Galapagos ou la réserve de Mashpi ».

Un équilibre délicat

Toutefois, il faut aussi compter avec les inconvénients potentiels. Un accroissement du tourisme implique une augmentation de la pression sur les infrastructures, un empiètement sur l’habitat des animaux et un risque accru d’introduction d’espèces végétales et animales envahissantes. Au moment où il est envisagé de redynamiser le tourisme après la pandémie, la question du respect de l’environnement est une préoccupation récurrente, en particulier dans une région comme les îles Galapagos, ce paradis qui enchanta Charles Darwin en 1895 et lui inspira sa théorie de l’évolution des espèces.

« Des iguanes qui ressemblent à des dragons, des créatures préhistoriques miniatures, des tortues géantes. Les chercheurs évoquent un monde hors du monde, un voyage dans le passé de la Terre, un laboratoire vivant impossible à reproduire ailleurs », souligne la directrice éditoriale de National Geographic, Claudia Muzzi Turullols.

Dans les Galapagos, le nombre des touristes a chuté, passant d’une moyenne de 22 000 par mois avant la pandémie à seulement 1 232 pour le mois d’octobre 2020. Divers groupes de travail ont été créés pour redynamiser le secteur. En août, l’Équateur a obtenu le label « voyages sûrs » créé par le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC) pour signaler les destinations et les entreprises qui, dans le monde, ont adopté des protocoles normalisés en matière de santé et d’hygiène.

Selon certains experts, le tourisme dans les Galapagos a eu un effet positif en contribuant à préserver l’écosystème de l’archipel, les itinéraires touristiques étant limités à des zones très restreintes. Par ailleurs, la présence constante d’écotouristes a tendance à décourager la pêche au thon et à susciter une prise de conscience de la nécessité de préserver ce sanctuaire naturel.

Une colonie d'otaries à Gardner Bay sur Espanola dans les îles Galápagos.
Une colonie d'otaries à Gardner Bay sur Espanola dans les îles Galápagos. Crédit Photo : Steve Allen/Shutterstock

Le mois dernier, le président équatorien Guillermo Lasso a signé un décret sur l’extension de la réserve marine des Galapagos. Celle-ci a été baptisée Hermandad (« Fraternité »), en reconnaissance des efforts conjoints de différents segments de la société, notamment des écologistes et des pêcheurs artisanaux et industriels. La réserve marine des Galapagos a ainsi été agrandie de 60 000 km². Elle est divisée en deux secteurs : la pêche est totalement interdite dans un premier territoire de 30 000 km² et seule la pêche à la palangre est interdite dans un second territoire de 30 000 km².

Dans les Galapagos et ailleurs, l’Équateur s’efforce d’atteindre un délicat équilibre entre attirer davantage de touristes et préserver ce qui les attire.

Publié en février 2022