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Marhaba ! La Jordanie souhaite la bienvenue aux voyageurs

avril 5, 2022

Andrew Raven

Par une fraîche après-midi de printemps, il y a sept ans, Anna Carroll était assise sur un banc, les pieds plongés dans les eaux boueuses et remplies de roseaux du Jourdain. C'est ici, à Béthanie au-delà du Jourdain, il y a plus de 2 000 ans, que Jésus aurait été baptisé. La voyageuse originaire de Nashville (Tennessee) se souvient avoir ressenti à ce moment-là un lien « profond » avec sa religion.

« C'est une chose de vivre sa foi, mais c'en est une autre de découvrir l'histoire de sa foi », confie la touriste, une fervente protestante qui participait à un voyage de dix jours dans les lieux saints de Jordanie.

La Jordanie, qui abrite des dizaines de sites bibliques, intensifie ses efforts pour attirer davantage de croyants. Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'une vision plus large visant à soutenir le secteur du tourisme qui, avant la pandémie, employait 50 000 personnes et représentait 13 % du produit intérieur brut du pays. Aujourd'hui, le nombre de visiteurs ne représente plus qu'un tiers de ce qu'il était il y a deux ans, avant que la pandémie ne porte un coup très dur aux voyages.

L'intérieur de l'église grecque orthodoxe de Saint-Jean-Baptiste, près du site où Jésus aurait été baptisé, Béthanie au-delà du Jourdain.
L'intérieur de l'église grecque orthodoxe de Saint-Jean-Baptiste, près du site où Jésus aurait été baptisé, Béthanie au-delà du Jourdain. Crédit photo : Bill Perry/Shutterstock (2017)

Le recul de la pandémie de COVID-19 ne suffira pas à faire rebondir le tourisme en Jordanie. Les experts estiment que le pays doit engager de profondes réformes dans ce secteur afin d'attirer davantage d'investissements privés.

« Pour l'instant, la Jordanie n’exploite qu’une infime partie de son potentiel touristique, déplore Abdullah Jefri, directeur des opérations d’IFC pour la région du Levant. Si elle engage les bonnes réformes, le secteur pourrait décoller, et créer les emplois indispensables au redressement post-COVID du pays. »

En 2019, 5,3 millions de touristes s’étaient rendus en Jordanie, pays de 10 millions d'habitants entouré par Israël, la Syrie, l'Iraq et l'Arabie saoudite.

Une cérémonie de nuit dans l'ancienne cité de Pétra, sur le site du Trésor (ou Al Khazneh). Pétra est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Une cérémonie de nuit dans l'ancienne cité de Pétra, sur le site du Trésor (ou Al Khazneh). Pétra est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO. Crédit photo : Hamdan Yoshida/Shutterstock (2014)

Sa principale attraction est depuis longtemps l'ancienne cité rupestre de Pétra, l'une des sept merveilles du monde moderne. Le pays abrite également la mer Morte, le point le plus bas du monde, le Wadi Rum, une étendue désertique prisée des tournages (Lawrence d'Arabie, Seul sur Mars), le terrain de jeu d'Aqaba, des ruines romaines et plusieurs châteaux médiévaux construits par les croisés aux XIIe et XIIIe siècles.

Selon un récent rapport publié par la Banque mondiale et IFC, malgré ces atouts, l'industrie touristique jordanienne peine à atteindre les sommets de ses voisins, en particulier Israël et l'Égypte. D’après ce diagnostic consacré au secteur privé jordanien, celui-ci s'est développé dans les années qui ont précédé la pandémie, mais sans générer tous les emplois et opportunités économiques attendus. En cause notamment, des lourdeurs administratives et des règles qui limitent la concurrence. Une occasion d’autant plus manquée le chômage avoisine les 25 % dans le pays.

Les défis auxquels le tourisme religieux est confronté en Jordanie sont, à bien des égards, emblématiques de ceux auxquels doit faire face le secteur dans son ensemble.

La Jordanie occidentale fait partie de la Terre sainte, berceau du judaïsme, du christianisme et de l'islam. Outre le lieu de baptême de Jésus, le pays compte 33 autres sites bibliques. Parmi ceux-ci figurent le mont Nébo, d'où Moïse aurait aperçu pour la première fois la Terre promise, et Macheronte, une forteresse au sommet d'une colline où Jean le Baptiste a été décapité.


Des touristes devant une église commémorative sur le mont Nébo, d’où Moïse aurait aperçu la Terre promise pour la première fois. Crédit photo : Cortyn/Shutterstock (2018)

Avant la pandémie, la Jordanie attirait seulement quelque 15 000 pèlerins chrétiens chaque année, contre quelque 300 000 en moyenne pour Israël.

Si la Jordanie possède « des sites fantastiques avec une histoire passionnante », la plupart d'entre eux ne jouissent pas de la notoriété de lieux comme Jérusalem et Bethléem, explique David Symes, directeur marketing de Discovery Circle Tours, basé à Amman.

Il incombe donc aux responsables du tourisme jordanien de mettre en valeur l'histoire du pays, un travail qui suppose souvent de prendre contact avec des groupes et des chefs religieux dans des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni.

M. Symes, qui travaillait auparavant pour l'Office du tourisme de Jordanie, confie : « Je pense que le marché religieux présente un énorme potentiel. Ce n'est qu’une question d'investissement. »

Selon le diagnostic du secteur privé, la croissance du tourisme est entravée par des règles d'autorisation onéreuses et des exigences de fonds propres souvent élevées pour les nouveaux voyagistes, à qui l'on demande parfois des garanties bancaires pouvant aller jusqu'à 75 000 dinars jordaniens (105 000 dollars). Avec un partenaire étranger, ce montant grimpe à 500 000 dinars, soit 705 000 dollars, ce qui a pour effet de freiner les investissements extérieurs. Dans le même temps, les associations professionnelles toutes-puissantes limitent souvent la concurrence en empêchant les nouvelles entreprises de s'installer.

Selon le rapport IFC-Banque mondiale, l'élimination de ces obstacles contribuerait à la croissance non seulement des voyages à caractère religieux, mais aussi du tourisme médical et d'aventure, que le rapport qualifie de « niches » importantes. L'essor de ces secteurs contribuerait à créer des emplois, en particulier pour les femmes, qui ne représentent que 10 % des travailleurs du secteur du tourisme, et pour les habitants de l'arrière-pays jordanien, où les infrastructures touristiques sont relativement peu développées.

Une vue de la voie lactée aux abords du désert du Wadi Rum.
Une vue de la voie lactée aux abords du désert du Wadi Rum. Crédit photo : rayints/Shutterstock (2019)

Michael Nazzal, président de la chaîne Mina Hotels, partage cet avis.

« La bureaucratie est vraiment un frein à la croissance de l'ensemble de l'économie, déplore l’ancien directeur de l'association nationale des hôtels de Jordanie. Pour lutter contre le chômage, il faut investir, mais les lourdeurs administratives présentes en Jordanie y font obstacle. »

Des bouleversements en perspective pour le secteur du tourisme

À la fin de l'année dernière, la Jordanie a lancé une stratégie touristique qui s’étend jusqu'en 2025. L'un des piliers de ce plan consiste à assouplir la réglementation qui encadre le secteur. Le gouvernement jordanien a récemment voté la suppression des exigences en matière de licence pour les voyagistes et l'adoption d'un système plus libéral reposant sur des « classifications ». Il prévoit également d'augmenter le financement de l'office du tourisme jordanien, de développer les visas électroniques, d'investir 5 millions de dinars dans un fonds d'incubation et de travailler avec les populations et le secteur privé pour accroître les investissements.

Les responsables jordaniens espèrent que ces changements permettront au pays d'attirer 5,5 millions de visiteurs d'ici à 2025, soit trois fois plus qu’en 2021.

Les acteurs du secteur ont bon espoir que ces réformes viendront prêter main-forte à un secteur dévasté par la pandémie. Ils estiment qu'à long terme, l'expansion du tourisme est cruciale pour l'avenir de la Jordanie.

« Outre le tourisme, nous n'avons pas grand-chose à vendre », observe M. Nazzal, en soulignant que la Jordanie ne possède pas les mêmes réserves d’hydrocarbures que ses voisins. « Le tourisme est le moteur de la croissance de notre économie. »

En particulier, nombreux sont ceux qui pensent que le tourisme médical sera particulièrement prometteur à l'avenir. En effet, la Jordanie possède un réseau de 700 cliniques et hôpitaux, ainsi qu’un personnel de santé très qualifié.

La Jordanie a élaboré une stratégie pour attirer les patients étrangers. Selon les observateurs, ce plan s'appuie sur des installations médicales de classe mondiale et des professionnels extrêmement compétents et peut permettre au pays de tirer parti de l'augmentation des coûts des soins de santé et du vieillissement des populations en Europe et en Amérique.

« Avec l'ouverture des frontières et le recul de la pandémie, la Jordanie est prête pour le tourisme médical, affirme Ahmad Abughazaleh, président de l'hôpital Abdali d'Amman. Nous disposons des infrastructures et du capital humain. »

Si les autorités espèrent voir le nombre de touristes augmenter dans les années à venir, certains visiteurs sont heureux que la Jordanie reste une destination peu connue. C'est le cas d'Anna Carroll. L'un des souvenirs les plus marquants de son voyage est d’avoir vu le coucher du soleil au sommet d'un mont Nébo presque désert.

Alors qu'une lumière dorée illuminait la vallée du Jourdain, elle a ouvert sa bible et marché sur les pas de Moïse.

« On entendait seulement la nature, confie-t-elle. C'était si paisible. »

Andrew Raven est un éditeur à IFC.

Publié en avril 2022