Par Atiyah Curmally, spécialiste principal de l’environnement à IFC
Le recours à l’intelligence artificielle (IA) suscite un engouement croissant pour l’obtention d’informations sur la performance des entreprises, des projets, voire des pays, dans les domaines environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Plus de 80 % des sociétés enregistrant les plus gros revenus à l’échelle mondiale établissent des rapports sur les aspects de durabilité de leurs activités et 90 % des entreprises qui composent l’indice S&P 500 publient des données à ce sujet. Les agences de notation qui se basaient autrefois uniquement sur la performance financière des entreprises ont commencé à ajouter des critères ESG à leurs offres de service, et de nouvelles agences spécialisées dans ce type de classement ont fait leur apparition.
Les Nations Unies ont lancé l’initiative « Bourses des valeurs durables » qui promeut les réseaux et la recherche parmi les acteurs des marchés de capitaux. Les instances de règlementation élaborent des normes pour une plus grande transparence des méthodes de classement ESG, ce qui devrait aider les non-spécialistes à comprendre et à comparer plus facilement les séries de données. Les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance étaient au centre de chacune des décisions d’investissement de l’enveloppe de plus de 30 milliards de dollars qu’IFC a engagés sur les marchés émergents au cours de l’année dernière.
IFC a lancé l’élaboration de l’outil MALENA* dès 2019, dans le cadre d’un projet innovant d’utilisation de l’IA pour mieux cartographier le paysage ESG des marchés émergents. Dans une première étape, les experts ESG d’IFC entraînent MALENA à analyser le contenu linguistique des documents de manière à obtenir des éléments aussi utiles que possible sur les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance. Le langage humain, comme on le sait, est complexe et nuancé. La compréhension du contexte de l’écrit est déterminante dans l’appréhension du sens – et essentielle pour éviter les erreurs d’interprétation.
Il est, par exemple, possible de programmer un outil d’IA pour inventorier toutes les références à des « déchets » dans un ensemble de documents. À moins d’avoir été formé différemment, l’outil pourrait considérer ces mentions comme des indicateurs négatifs de la performance environnementale. Pourtant, si le terme « déchets » est immédiatement précédé de « gestion des », il pourra se rapporter aux efforts déployés par la société concernée pour gérer les déchets de manière respectueuse de l’environnement. Beaucoup de temps et d’efforts sont consacrés à la prise en compte de ce genre de nuances pour faire de MALENA un outil véritablement utile et fiable.
Élaborer MALENA
Une formation et des tests rigoureux menés par IFC permettent de prédire avec précision les résultats ESG en recourant à l’IA.
MALENA a déjà été entraîné à répertorier plus de 1 200 termes en lien avec les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance dans du texte non structuré. L’outil ne sait encore lire que l’anglais, mais il est prévu d’ajouter d’autres langues à son répertoire au fil des améliorations qui lui seront apportées pour affiner ses performances et sa pertinence. MALENA repose sur la technologie de traitement du langage naturel. Cette technologie, qui a vu le jour dans les années 1950, a beaucoup progressé ces dernières années, grâce aux progrès réalisés par des groupes de haute technologie comme Google ou Meta, qui ont en outre des modèles à code source ouvert.
MALENA a analysé plus de 200 000 documents publics ou internes à IFC — principalement des évaluations d’impact, des articles d’actualité et des rapports sur le développement durable — qui remontent des dizaines d’années en arrière et concernent plus de 20 000 projets dans 186 pays. L’un des plus gros atouts de l’outil est sa vitesse : MALENA lit 19 000 phrases à la minute. Après avoir ratissé les documents, MALENA génère des tableaux de performance ESG qui peuvent être très utiles aux experts d’IFC pour l’évaluation des risques.
Utiliser MALENA
L’IA permet de filtrer et d’analyser rapidement un ensemble volumineux de données et de générer des informations qui permettent une évaluation plus précise des risques par les experts.
Conçu comme un outil « maison », MALENA pourrait être utilisé plus largement après son déploiement officiel prévu en 2023. IFC a, par exemple, récemment fait équipe avec la plus grande société européenne de gestion d’actifs, Amundi, dans le cadre d’un projet qui a permis à cette société de tester MALENA sur un échantillon de documents concernant 804 institutions financières émettrices de dettes en devises fortes dans 60 marchés émergents. Les résultats sont prometteurs. MALENA a permis de valider les notations internes d’Amundi dans les domaines environnementaux, sociaux et de gouvernance. De manière sans doute encore plus significative, l’outil a fourni des informations relatives à 29 % de l’échantillon testé (236 des 804 émetteurs) pour lesquels Amundi n’avait pas encore de notation.
Les données ESG faisant l’objet d’une demande exponentielle, y compris dans les pays émergents où elles font souvent défaut, les outils d’IA comme MALENA sont un important moyen d’améliorer la qualité des données. Ces outils peuvent aider les investisseurs à atteindre leurs objectifs ESG d’une manière innovante et originale.
* Le développement de MALENA bénéficie du soutien de donateurs, parmi lesquels le ministère de l’Économie et des Finances de la Corée, le Service-conseil en climat des investissements (FIAS), le ministère des Affaires étrangères du Danemark. En savoir plus sur MALENA.
Publié en septembre 2022