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Pakistan : quelles perspectives pour le secteur privé ?

août 3, 2021

By Zia Ur Rehman

Au Pakistan, où je vis, la quatrième vague de la pandémie de COVID-19 est arrivée en juillet : dans les grandes villes comme Karachi, le nombre de cas explose et les autorités redoutent cette nouvelle déferlante. Mes réflexions concernant les conséquences de la pandémie sur le redressement économique et social de mon pays sont aussi teintées d’inquiétude. Cet exercice intellectuel se double de pensées personnelles souvent douloureuses, liées à mon frère aîné, emporté par le virus.

Mes fonctions à IFC m’ont cependant conduit à m’intéresser de près à la manière dont les chefs d’entreprise tentent d’inventer des solutions pour surmonter les hauts et les bas d’une crise qui n’en finit pas. J’ai discuté avec plusieurs entrepreneurs, chefs d’entreprise et responsables d’organisations, pour comprendre comment ils parviennent à maintenir le cap.

Promouvoir plus que jamais la représentation des femmes

Pour Gulalai Khan, une militante pakistanaise des droits des femmes et mère de deux enfants, la pandémie a agi comme un révélateur de la triste réalité des inégalités entre les sexes.

Lorsque la crise s’est déclenchée, Gulalai s’est mise à travailler depuis chez elle — elle anime le Forum national des femmes professionnelles — tout en aidant ses enfants à poursuivre leurs études en distanciel. Parallèlement, elle s’est employée à faciliter la formation à distance des femmes qui se retrouvaient non seulement isolées par les mesures de confinement, mais aussi privées d’internet.

La pandémie obligeant les participantes à travailler à distance au lieu de venir en personne aux cours, Gulalai a réalisé à quel point la fracture numérique était béante au Pakistan et comment la capacité d’expression et de représentation des femmes était pénalisée par le manque d’accès aux services en ligne.

Des ouvrières du textile discutent avec Gulalai Khan de leur expérience lors de sessions de formation.
Des ouvrières du textile discutent avec Gulalai Khan de leur expérience lors de sessions de formation. Crédit photo : Afifa Zafar.

Vu le contexte social du Pakistan, ce constat n’est pas surprenant : avec un taux d’activité des femmes de 26 % (contre 82 % pour les hommes), le pays est la lanterne rouge de l’Asie du Sud. Selon le Rapport 2020 sur les inégalités entre les hommes et les femmes dans la téléphonie mobile, l’écart entre hommes et femmes s’élève à 38 % en ce qui concerne la possession d’un téléphone portable et atteint même 49 % pour l’utilisation de l’internet mobile (réseau cellulaire/de données).

Gulalai a touché du doigt cette réalité avec la pandémie : « J’ai compris que j’avais une mission encore plus importante à accomplir et que je pouvais avoir un impact considérable » en faisant évoluer les approches et en offrant aux femmes davantage de possibilités de participer en personne à la vie active, une fois assouplies les restrictions sur les déplacements et les rencontres.

La Journée internationale des femmes, en mars dernier, a en quelque sorte consacré cette révélation : ce jour-là, Gulalai a signé un protocole d’entente avec un grand groupe textile du pays pour offrir une formation et un accompagnement professionnels individualisés à 5 000 ouvrières de la filière dans le sud du Pendjab.

Le fait d’avoir pu organiser un programme répondant aux besoins d’un si grand nombre de femmes « a été [l’expérience] la plus enrichissante sur le plan personnel et professionnel depuis que je me suis lancée dans cette aventure, il y a 20 ans », se réjouit Gulalai. Le parcours de l’une des participantes, une veuve avec six enfants à charge, l’a particulièrement touchée. Au début du programme, cette femme se cachait derrière sa dupatta (une longue écharpe traditionnelle) pour ne pas avoir à prendre la parole. À la fin des séances de coaching individuel, au centre de formation de l’industrie textile de Multan, elle avait rassemblé suffisamment de courage pour s’exprimer en public.

« Quelle satisfaction, professionnelle et personnelle, lorsque je réalise que j’arrive à donner à ces femmes ce dont elles ont le plus besoin : la confiance en soi pour communiquer, mieux travailler en équipe et dans des environnements différents et, surtout, la capacité de rêver d’une vie meilleure pour elles-mêmes et pour leur famille », conclut Gulalai Khan.

Priorité aux employés

Mon ami Sardar Zaheer Zaufran, PDG de l’agence de publicité MARCOM, a été confronté à de multiples difficultés. Quand la pandémie a contraint ses clients de revoir à la baisse leurs budgets marketing, son chiffre d’affaires a dégringolé de pratiquement 60 %. Dans le même temps, le passage au télétravail l’a obligé à fournir des ordinateurs portables, des abonnements internet et téléphoniques et des équipements de bureau à ses employés passés en mode virtuel. Rapidement pourtant, tout le monde a compris que le travail à la maison n’était pas la panacée : la lenteur du débit de connexion empêchait de maintenir le rythme de travail habituel.

Sardar Zaheer Zaufran, PDG de MARCOM Private Limited.
Sardar Zaheer Zaufran, PDG de MARCOM Private Limited. Crédit photo : Khurram Shahzad

Malgré tout, Sardar Zaheer s’est battu pour éviter les licenciements : « Au lieu de renvoyer des gens, j’ai décidé de les faire plancher sur un projet créatif », explique-t-il.

L’idée — concevoir un bulletin d’information quotidien relayant des messages positifs et diffusé via les médias sociaux — a eu un vif succès. Ce faisant, l’agence a pu conserver son personnel pendant cette période délicate, ce qui fait dire à son PDG que la phase de redressement est en marche.

Un autre de mes amis, Tahir Ali Khan, avait prévu d’ouvrir un nouveau restaurant à Islamabad, le Classic Scene Café, juste avant le début de la pandémie. Lui aussi a fait de ses employés son souci premier.

Tahir Ali Khan, propriétaire du Classic Scene Café à Islamabad.
Tahir Ali Khan, propriétaire du Classic Scene Café à Islamabad. Crédit photo : Zia Ur Rehman/IFC

À quelques jours de l’ouverture, les directives sanitaires destinées à endiguer la propagation du virus ont restreint les déplacements et les sorties au restaurant. Cet ancien d’une banque multilatérale de développement et ancien consultant dans le secteur privé reconverti dans la restauration s’était déjà engagé, avec un loyer à honorer. Malgré ses efforts pour rester ouvert et organiser la vente à emporter avec une entreprise locale, les coûts de fonctionnement sont rapidement devenus intenables puisque très peu de gens connaissaient ce nouvel endroit.

Mais pas question de licencier du personnel, explique-t-il, « parce qu’ils venaient tous de milieux très pauvres et avaient besoin de mon aide. » Il a donc puisé dans ses réserves personnelles pour maintenir l’entreprise à flot jusqu’à la réouverture du restaurant, en octobre 2020.

« Les choses s’améliorent lentement… », constate-t-il.

Coupures de courant

La COVID-19 n’a pas non plus épargné l’activité de mon ami Omar Malik, patron de Shams Power, une société d’investissement qui apporte des solutions solaires aux acteurs industriels et commerciaux du Pakistan. Depuis sa création, Shams Power a fourni plus de 20 mégawatts d’énergies renouvelables — de quoi alimenter près de 18 000 foyers.

Dans un pays comme le Pakistan, sujet à de graves pannes de courant et à des délestages fréquents jusqu’à ce que le gouvernement, récemment, améliore l’approvisionnement, l’énergie solaire joue un rôle important. Victime de difficultés de production, le secteur a eu du mal à satisfaire la demande en mai et en juin 2021. De nombreux habitants n’ont eu du courant que trois à six heures par jour, les coupures quotidiennes pouvant durer dans certains endroits jusqu’à 16 heures.

Omar est convaincu que la pandémie a eu un effet négatif sur les installations solaires. D’expérience, il sait que leur fonctionnement nécessite des procédures complexes et des inspections physiques sur place. Pendant la pandémie, certains sites auraient dû recevoir la visite d’employés pour donner des autorisations, examiner les installations et effectuer des réparations et des opérations de maintenance. Mais les restrictions sanitaires interdisant tout déplacement, la production a connu des retards et des baisses d’efficacité — sans parler des pertes d’électricité.

« Grâce à des technologies de géolocalisation, comme Google Maps, nous avons pu récupérer des données à distance, mais cela n’a pas suffi », déplore Omar. « Les installations solaires doivent être entretenues et nettoyées régulièrement mais l’accès aux sites de nos clients ayant souvent été interdit, les rendements ont fléchi. »

Le logement, un secteur en pleine forme

Alors que l’activité économique a été pénalisée par la pandémie, comme l’ont constaté bon nombre de mes amis, le secteur du logement s’en est relativement bien sorti — grâce essentiellement à l’absence de restrictions gouvernementales. C’est un point important quand on sait que le bâtiment représente environ 2,5 % du produit intérieur brut du pays et emploie plus de 7 % de la population active (pratiquement 5 millions de personnes).

Pour mon ami Kashif Khan, patron d’une entreprise privée de construction de logements à Islamabad, les premiers jours de la pandémie ont été éminemment incertains. Son activité s’est brusquement arrêtée, plombée par le recul des investissements dans l’immobilier.

Mais ce n’était qu’un trou d’air et la situation s’est améliorée dès que les gens ont compris que le secteur serait épargné par les restrictions, explique Kashif. Même si, en raison de l’écart entre l’offre et la demande, la pandémie a attisé l’inflation et provoqué une dévaluation — freinant certains projets à cause de la hausse consécutive des coûts —, une bonne nouvelle attendait le secteur : l’annonce d’un train de mesures gouvernementales pour la construction, assorti notamment d’un dispositif d’amnistie fiscale, et la baisse des taux d’intérêt. Tout cela a aidé les entreprises et les investisseurs, rappelle Kashif.

Lorsque je réfléchis à l’impact de la pandémie sur l’économie pakistanaise, j’essaie de voir le côté positif des choses — en l’occurrence, la campagne de vaccination très bien organisée et gérée par le gouvernement.

La situation reste très incertaine, mais elle aura été riche d’enseignements : le Pakistan doit améliorer l’inclusion numérique et financière et accroître la participation économique des femmes pour stimuler le redressement du pays. La pandémie est venue rappeler que 70 % de la main-d’œuvre pakistanaise travaille dans le secteur informel : toutes ces personnes sont de ce fait plus vulnérables et plus affectées par les mesures de confinement et les fermetures, tout en ayant moins d’épargne et pas de dispositifs officiels de protection sociale sur lesquels s’appuyer.

J’ai bon espoir que notre nation saura faire preuve de résilience et pourra, ce faisant, offrir de meilleures opportunités à tous les Pakistanais.

Zia Ur Rehman est consultant chargé de communication pour IFC à Islamabad, au Pakistan.

Publié en août 2021