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« Une collaboration fructueuse repose sur des apprentissages mutuels »

juin 15, 2021

John Donnelly

Le Dr Rajiv Shah œuvre depuis vingt ans à la recherche de solutions novatrices à des défis mondiaux urgents. À la Fondation Gates, il a contribué à une initiative qui a permis de mobiliser des fonds pour la mise au point de vaccins destinés à des dizaines de millions d’enfants dans le monde en développement. En tant qu’administrateur de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), il a conduit les interventions menées par les États-Unis lors du tremblement de terre de 2010 en Haïti et de l’épidémie Ebola de 2014 en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, en tant que président de la Fondation Rockefeller, il entend mobiliser des milliards de dollars de capitaux pour favoriser un meilleur accès aux vaccins et une reprise verte et équitable après la pandémie de COVID-19.

Dans ce premier article d’une série IFC Insights consacrée aux partenariats, Raj Shah se penche sur les ressorts d’une collaboration réussie et explique pourquoi celle-ci est essentielle pour résoudre des problèmes mondiaux.

Q : Compte tenu de l'expérience que vous avez acquise au fil des ans, quelle est l'utilité des partenariats à vos yeux, et que vous ont-ils appris ?

R : Les problèmes contre lesquels nous essayons de lutter — comme la faim, la pauvreté énergétique, la crise climatique et l’accès aux vaccins — sont si vastes et pluridimensionnels qu’on ne peut imaginer les résoudre sans mettre à contribution de nombreux partenaires. Je l’ai compris en travaillant sur les enjeux de la vaccination dans le monde, et notamment en conduisant une initiative visant à créer un mécanisme international de financement des vaccins appelé l’IFFIm. Il s’agissait en fin de compte d’un partenariat entre des États européens, des agences européennes de statistique et d’évaluation du crédit, des banques privées, des cabinets juridiques et des acteurs de l’industrie mondiale du vaccin. Ces partenaires ont travaillé de concert dans le but de transformer la façon dont on produisait les vaccins et les fournissait aux pays à faible revenu du monde entier.

J’ai appris qu’il faut parfois des années pour bâtir un partenariat, et qu’il faut prendre le temps d’apprendre des autres et de les amener à se mettre d’accord sur un seul et même objectif. Dans le cas présent, il s’agissait de réunir un certain type de fonds afin de restructurer l’offre du secteur et de vacciner un certain nombre d’enfants qui en avaient besoin.

Je pense que l’autre aspect fondamental est l’écoute, parce que personne ne connaît vraiment toutes les réponses. À mon avis, les meilleurs partenariats reposent sur cette expérience commune et partagée d’un apprentissage mutuel. Enfin, il faut avoir le souci du résultat. Les gens s’enthousiasment généralement pour les projets qui donnent des résultats. Quand ils ont le sentiment que les efforts, les ressources, la volonté et le temps qu’ils consacrent à cette cause permettent d’améliorer concrètement la vie de dizaines de millions d’enfants dans le monde.

Q : C’est un exemple tout à fait opportun, compte tenu de la situation que nous vivons actuellement du fait de la pandémie. En mentionnant l’IFFm, vous avez dit qu’il faut parfois des années pour mettre en place un partenariat solide. Comment amener la communauté internationale à agir rapidement afin de garantir l’accès aux vaccins ?

R : Il est possible d’accélérer les choses si l’on fait preuve de diligence et de leadership. La formation de partenariats et la mobilisation autour d’un but commun peuvent prendre beaucoup de temps avant que tout le monde s'entende sur un objectif partagé. On peut accélérer le processus lorsqu’il y a une crise mondiale urgente, et lorsque les dirigeants se mobilisent pour faire avancer les choses plus rapidement. J’ai constaté que cette démarche avait fait son chemin avec la lutte contre Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014 ou l’action humanitaire lors du tremblement de terre en Haïti en 2010. C’est pourquoi je suis convaincu que l’on peut accélérer les choses. En ce moment même, il est urgent de distribuer des vaccins et d'accroître le taux de vaccination dans tous les pays, et j’espère que les pays du monde entier parviendront à collaborer plus largement et beaucoup plus rapidement.

Q : Comment le secteur privé peut-il contribuer à accélérer l’intensification de la riposte ?

R : Ce sont surtout les sociétés privées qui produisent les vaccins qui doivent organiser la chaîne d’approvisionnement et augmenter leur production pour que les prix deviennent abordables pour les pays émergents, puis s’engager à produire et à distribuer ces grandes quantités de produits. Le secteur privé joue également un rôle important dans la mise en place de la chaîne du froid et dans la distribution jusqu’aux bénéficiaires. Au cours des 20 dernières années, nous avons assisté à une intensification de la collaboration entre les entreprises privées, qui possèdent de réels atouts et compétences dans les domaines de la logistique et de la communication, de la réfrigération, de la transformation des aliments et du transport, autant d'aspects du défi auquel nous sommes confrontés. Nous avons donc besoin de la participation massive du secteur privé pour surmonter cette pandémie et en éviter d’autres. Et cela sera d’autant plus vrai que la numérisation gagne du terrain dans le monde.

Q : Quel est le rôle des institutions de Bretton Woods dans la lutte contre la pandémie ?

R : Les institutions de Bretton Woods jouent vraiment un rôle essentiel pour rendre notre monde plus juste et plus équitable. C’était le cas après la Seconde Guerre mondiale, qui a motivé la création [de ces institutions], et je dirais que c’est tout aussi le cas, sinon plus, au sortir de cette pandémie. En même temps, nous ne devons pas perdre de vue notre objectif. Si nous n’investissons pas de manière significative et efficace dans une relance soucieuse de l’environnement, un demi-milliard de personnes basculeront dans la pauvreté, en tenant compte d’une définition élargie du seuil de pauvreté. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser de côté un demi-milliard de personnes. C’est pourquoi [le Groupe de] la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), toutes les institutions qui constituent le système multilatéral de financement du développement, doivent se rapprocher, prendre conscience que le moment est venu de faire les choses en grand et d’avoir de l’ambition, et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider les pays à réaliser les investissements qui permettront à leur population de se relever de cette crise.

Raj Shah sur le site d'un mini-réseau solaire à Bihar, en Inde.
Raj Shah sur le site d'un mini-réseau solaire à Bihar, en Inde. Crédit photo : Fondation Rockefeller (2019)

Q : Comment mettez-vous à profit vos relations pour favoriser cette reprise verte ?

R : Pour la première fois en 108 ans d’existence, [la Fondation Rockefeller] s’est tournée vers les marchés financiers pour lancer une émission obligataire de 700 millions de dollars, et [nous] avons engagé un milliard de dollars en faveur d’une relance verte mondiale. Nous nous adressons à tous nos partenaires, qu’ils soient anciens ou nouveaux, et nous leur demandons de se joindre à nous pour créer un institut pour la prévention des pandémies qui veillera à ce qu’aucune épidémie ne menace autant l’économie mondiale et ne fasse autant de victimes que la pandémie de COVID-19. De plus, forts d’une décennie de partenariats dans le domaine des infrastructures d’énergie renouvelable distribuée en Asie du Sud et en Afrique, nous investissons également 500 millions de dollars afin d’attirer les milliards de dollars d’investissements privés et concessionnels nécessaires pour permettre aux pays en développement de déployer ces technologies.

Q : Vous arrive-t-il souvent de prendre les devants pour contacter directement vos partenaires dans le but de faire avancer les choses ?

R : À la Fondation Rockefeller, lorsque nous avons des idées, nous les creusons en détail, mais nous nous tournons toujours vers nos partenaires extérieurs parce que nous savons que la capacité à faire des choses réside pour l’essentiel en dehors de notre institution. Par exemple, à l’automne dernier, lorsque nous avons commencé à travailler de manière très dynamique sur la question des droits de tirage spéciaux afin d’accélérer la vaccination dans les pays en développement, nous avons bien entendu été en lien avec [la directrice générale du FMI] Kristalina Georgieva et avec d’autres économistes et dirigeants de renom susceptibles de nous aider dans ce projet et de le rendre viable et politiquement acceptable pour les principaux actionnaires. Ce type d’échange, d’apprentissage et d’écoute est à la fois réjouissant et porteur de meilleures idées. Mais il permet également de préparer le terrain pour agir rapidement.

Q : Sur quels partenariats misez-vous le plus actuellement ?

R : Ce qui m’intéresse tout particulièrement en ce moment, c’est de mettre cette crise à profit pour favoriser une reprise verte et équitable. Si l’on observe les technologies énergétiques (réseaux électriques décentralisés utilisant des sources renouvelables, nouveaux types de stockage par batterie sur le réseau, nouvelles approches en matière d’efficacité énergétique et de consommation d’énergie), on peut aujourd’hui imaginer que chaque habitant de la planète puisse accéder à une électrification fiable et productive. Faute de quoi, 1 à 2 milliards de personnes seront exclues de l’économie mondiale. J’espère donc que grâce au protocole d’accord prometteur que nous signons avec IFC, les partenaires pourront collaborer et mobiliser les milliards de dollars nécessaires à cette fin.


Selon Raj Shah, chaque habitant de la planète pourrait bénéficier d'une « électrification fiable et productive ». Crédit photo : Fondation Rockefeller (2019)

Q : Une dernière question. Vous avez mentionné précédemment l’importance de l’écoute. Si des partenaires actuels ou potentiels vous écoutent, que retiendront-ils de l’approche de la Fondation Rockefeller ?

R : Un bon partenariat repose sur un objectif partagé et une bonne compatibilité. Par exemple, hier, dans le cadre d’une conversation avec des partenaires, nous décrivions notre action pour créer une plateforme destinée à promouvoir l’électricité et les énergies renouvelables dans les pays en développement et émergents. Nos partenaires ont posé des questions essentielles et fondamentales sur la manière dont le programme pourrait fonctionner dans certains pays. Ils ont soulevé des aspects judicieux, pertinents et vraiment importants. Une collaboration fructueuse se définit donc par un apprentissage constant, et par le fait que les partenaires investissent non seulement de l’argent et des ressources, mais aussi suffisamment de leur savoir et de leur expérience pour concevoir des programmes et des partenariats qui produisent des résultats. On reconnaît une bonne collaboration lorsqu’on a le sentiment d’apprendre ensemble. Lorsque les relations sont collégiales, que vous avez le souci des résultats et que, à la fin, ces résultats sont au rendez-vous.

Publié en juin 2021