Alison Buckholtz
Les villes du monde entier sont confrontées à une fâcheuse réalité : elles font les frais du changement climatique auquel elles contribuent. Cette prise de conscience pousse les collectivités locales à agir : plus de 700 villes dans 53 pays se sont engagées à réduire de moitié leurs émissions d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
La réduction des émissions provenant des bâtiments est l’un des moyens les plus efficaces pour contrecarrer les effets dramatiques du changement climatique. Le tout dernier rapport des Nations Unies le souligne : le secteur est responsable de 28 % des émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie. Le potentiel d’investissement est considérable : les bâtiments verts représentent plus de 80 % des 29 400 milliards de dollars d’opportunités d’investissement qui se présenteront dans les villes des marchés émergents d’ici à 2030. Selon une analyse d’IFC, la modernisation des bâtiments représente 1 100 milliards de dollars d’opportunités d’investissement et pourrait créer 25 millions d’emplois dans le monde d’ici à 2030. Les politiques visant à stimuler la construction écologique pourraient générer 25 000 milliards de dollars d’investissements supplémentaires sur cette même période.
Dans cet entretien, Cassie Sutherland, directrice du programme pour l’énergie et les bâtiments de C40, un réseau de maires des grandes villes du monde engagés dans la lutte contre le changement climatique, rappelle le rôle unique des villes face au dérèglement climatique et la manière dont les mesures prises par les collectivités locales pour verdir les bâtiments peuvent réorienter le marché et renforcer l’économie des villes.
Cassie Sutherland . Crédit Photo : Cassie Sutherland
Q : Face au défi écrasant que représente le réchauffement planétaire, n’est-il pas surprenant que les collectivités locales soient le fer de lance des initiatives de lutte contre le changement climatique et non les gouvernements nationaux ? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi certaines mesures, comme le durcissement de la réglementation pour l’écoconstruction, relèvent de la responsabilité des maires et des instances infranationales ?
R : En tant que réseau réunissant 97 villes du monde entier décidées à agir ensemble pour endiguer le changement climatique, C40 a pu constater à de multiples reprises que les édiles municipaux étaient les meilleurs défenseurs de l’accord de Paris. Nos maires sont déterminés à obtenir des résultats à la hauteur de leurs ambitions les plus élevées. Si les villes se retrouvent souvent au cœur de l’accélération de l’action, c’est à mon avis parce qu’elles sont généralement capables d’aller plus vite et plus loin que les autorités nationales. Les villes sont plus agiles, elles peuvent prendre des décisions plus rapidement et sont en mesure de les mettre en œuvre dans des délais plus courts. Ce qui les pousse aussi à agir, c’est qu’elles constatent directement les besoins. Le changement climatique, tout comme l’action climatique, ont un impact immédiat sur les villes et des conséquences tangibles sur le quotidien des citadins.
L’augmentation prévue du nombre de citadins explique également cette volonté de contrer le changement climatique. Une comparaison de la densité de population des villes et du reste du territoire national met crûment en évidence les inégalités. Le changement climatique n’est pas juste : il touche de manière disproportionnée les minorités et les plus pauvres — les personnes âgées, les femmes et les enfants. Ce sont eux qui, habituellement, vivent dans des bâtiments de mauvaise qualité et qui seront plus facilement victimes des dérèglements du climat, parce qu’il y fait trop chaud, parce que ce sont des passoires thermiques ou parce que l’intensification des précipitations les expose aux inondations. Les maires sont confrontés de près à cette réalité et veulent atténuer ces inégalités.
Q : De quels outils disposent les responsables municipaux à partir du moment où ils décident de privilégier les bâtiments verts ou neutres en carbone ?
R : La capacité d’action des responsables municipaux varie en fonction des villes. Dans certains cas, ils ont la maîtrise du pouvoir législatif ou réglementaire, voire du budget. Dans d’autres, ils sont propriétaires des actifs, ils les gèrent et peuvent donc réglementer le parc immobilier. Certaines villes possèdent et exploitent leur réseau d’électricité lequel peut, ailleurs, être totalement privatisé ou au contraire dans le giron de l’État. Mais toutes les villes ont un point commun : quand elles réalisent la nécessité de verdir leur parc immobilier, elles sont obligées de faire preuve d’innovation et d’agir, quelles que soient leurs prérogatives. Elles peuvent alors décider d’imposer des normes strictes pour les nouvelles constructions ou de moderniser de fond en comble les immeubles existants, avec de nouveaux systèmes d’éclairage, de chauffage et d’isolation. Quel que soit l’axe choisi, cela démontre le sérieux de la municipalité à réduire les émissions liées aux bâtiments et cela envoie un signal fort au marché.
Q : Comment la décision prise par des collectivités locales de décarboner leur parc immobilier peut-elle réorienter le marché ?
R : La décision de privilégier l'écoconstruction va permettre à toute une filière de biens et de services d’émerger : propriétaires, installateurs, fournisseurs de technologies, bailleurs de fonds, tous savent qu’ils vont devoir se positionner pour réaliser des bâtiments neutres en carbone. Et le secteur est averti qu’il y aura des emplois à pourvoir. Cela permet de définir une vision et des objectifs à long terme, un aspect essentiel face à des mandats municipaux qui sont parfois de courte durée.
Q : Vous avez évoqué l’emploi. Quel rapport avec les bâtiments verts ?
R : La transformation écologique des bâtiments s’accompagne d’un potentiel de création d’emplois non négligeable. Ce point est particulièrement important aujourd’hui, alors que nous sommes dans la phase de redressement post-pandémie. L’une de nos dernières études montre que, parmi les actions climatiques, les efforts de rénovation des bâtiments et de construction à haut rendement énergétique sont ceux qui présentent le meilleur potentiel de création d’emplois. La modernisation et la remise à niveau de notre parc immobilier ainsi que la création de bâtiments neutres en carbone sont des entreprises de longue haleine — et comme elles ne pourront pas se concrétiser du jour au lendemain, les emplois créés seront durables.
Soulignons aussi qu’il s’agit d’emplois locaux. Ce sont donc les habitants des villes — et notamment les femmes qui, jusqu’ici, ont été sous-représentées dans le secteur de la construction — qui en bénéficieront. Les bâtiments écologiques et neutres en carbone sont l’un des piliers d’un avenir vert et juste garantissant que la poursuite des objectifs climatiques des villes sera équitable pour tous.
Les bâtiments neutres en carbone (ou « nets zéro ») sont généralement des structures neuves ou rénovées présentant un rendement énergétique élevé, entièrement alimentées par des sources d’énergie renouvelablesur site ou hors site, comme l’éolien et le solaire. Pour obtenir cette certification, et pour que le promoteur puisse bénéficier d’incitations et d’avantages, le bâtiment doit généralement afficher un taux d’économie en énergie plus de 40 % supérieur à celui d’un bâtiment traditionnel.
Publié en novembre 2021