Par Jason Hopps
Andrew Alli a étudié l’ingénierie, et se destinait à concevoir des puces informatiques et des logiciels avant de se découvrir une passion pour les activités d’investissement dans les infrastructures et autres projets sur les marchés émergents.. Après avoir décroché un diplôme d’ingénieur, il change de direction et se lance dans des études de commerce. Il entre ensuite à IFC, où il dirige les opérations menées en Afrique australe. Des années plus tard, il devient PDG d’Africa Finance Corporation, fonction qu’il occupera pendant dix ans. Aujourd’hui, il est associé et directeur général au sein de SouthBridge Group, une société qui propose des solutions financières et des services de conseil à des clients publics et privés sur tout le continent africain.
Son expérience internationale, son sens aigu de l’analyse et son vif intérêt pour le développement de l’Afrique lui procurent une vision globale pour décrypter le passé et le présent économique du continent ainsi que son avenir prometteur. Dans cet entretien, Andrew Alli, qui possède la double nationalité nigériane et britannique, parle de la pandémie, de la blockchain et de ce qu’il ferait s’il avait un milliard de dollars à investir.
Q: Quelles sont vos observations concernant l’Afrique et la pandémie de COVID-19 ?
A: Nous n’en avons pas fini avec le nouveau coronavirus, et sommes probablement loin de le voir disparaître, mais il est également temps de penser à la reprise. On a assisté à une accélération de la numérisation, un processus qui était déjà engagé avant que le coronavirus ne frappe. À mon avis, l’évolution la plus intéressante pour l’Afrique, c’est le passage au télétravail. Si cette tendance se confirme, les Africains auront la possibilité de participer davantage à l’économie mondiale sans quitter le continent. Certes les centres de pouvoir mondiaux ne disparaîtront pas, mais cette évolution pourrait permettre à un habitant du Nigéria ou du Kenya, par exemple, de travailler plus facilement « à » Londres ou Washington.
Q: On parle d’une « reprise verte » pour l’Afrique, notamment autour des énergies renouvelables. Qu’en pensez-vous ?
A: Nous nous efforçons depuis des décennies de renforcer le réseau électrique en Afrique, mais les progrès sont extrêmement lents et, aujourd’hui encore, très peu de compagnies africaines génèrent des revenus suffisants pour couvrir leurs dépenses d’exploitation et d’investissement. Faut-il s’attendre à beaucoup de changements dans les 10 ou 20 prochaines années ? Honnêtement, je n’en sais rien. Le solaire et les autres énergies renouvelables sont appelés à occuper une place considérable dans le mix énergétique de l’Afrique. C’est probablement ce qui permettra d’amener l’électricité aux populations rurales et non raccordées au réseau. Cependant, les énergies renouvelables sont encore loin de pouvoir alimenter de grandes usines de production, par exemple. De plus, un réseau a aujourd’hui besoin d’une source d’énergie de base pour fonctionner avec les énergies renouvelables, compte tenu de leur caractère intermittent. Donc, oui, les énergies renouvelables constitueront une part importante du bouquet énergétique, mais elles ne sont pas la solution miracle qui permettra de relever les défis de l’Afrique en matière d’électricité et de croissance économique, surtout au vu de la démographie galopante de ce continent. Je pense qu’il est trop tôt pour décider de financer uniquement les énergies renouvelables.
Q: La population de l’Afrique augmente rapidement et devrait doubler d’ici à 2050. Est-ce un fardeau ou une bénédiction ?
A: Il s’agit d’un véritable défi qui devrait figurer en tête de liste des priorités de tous les dirigeants africains. L’Afrique doit créer environ 15 millions d’emplois par an, ne serait-ce que pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. D’où viendront tous ces emplois ? Je doute que le modèle de production industrielle à faible coût qui a contribué au dynamisme des économies asiatiques puisse fonctionner en Afrique. Nous devons plutôt nous concentrer sur des secteurs comme l’agroalimentaire, la haute technologie, les biosciences et le tourisme, qui présente un énorme potentiel inexploité. Nous devons également mettre à profit le nouvel accord de libre-échange africain. Cela étant dit, la croissance démographique peut aussi constituer une chance. L’Afrique doit simplement trouver la stratégie pour en tirer parti.
Q: Comme vous l’avez souligné, cette stratégie pourrait notamment passer par une augmentation des échanges commerciaux, tant internes qu’externes.
A: C’est un domaine important pour le développement. La création de la zone de libre-échange africaine est prometteuse, mais elle doit s’accompagner d’une augmentation du commerce intra-africain, ce qui, à mon avis, n’est pas pour tout de suite. Les obstacles physiques au commerce en Afrique sont bien connus, notamment les longues distances à parcourir et les semaines d’attente aux frontières. En Inde, un pays qui compte une population à peu près aussi nombreuse que celle de l’Afrique, le commerce intérieur est beaucoup plus dynamique, et c’est un bon modèle à suivre.
Q: La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve les chaînes logistiques mondiales. L’Afrique doit-elle de toute urgence mettre en place ses propres chaînes d’approvisionnement ?
A: Le renforcement des chaînes d’approvisionnement de l’Afrique est une entreprise de longue haleine. Je ne pense pas que cela se fasse du jour au lendemain. Il faut plusieurs années pour construire une usine, par exemple. Néanmoins, l’Afrique doit s’efforcer de renforcer ses capacités internes afin d’être en mesure de tirer parti des changements dans les chaînes d’approvisionnement mondiales au moment où ils se produisent.
Q: Le bitcoin fait couler beaucoup d’encre. Pensez-vous que les cryptomonnaies pourraient être davantage exploitées en Afrique, par exemple pour faciliter les transactions commerciales ?
A: Lorsque deux pays africains doivent recourir à une monnaie intermédiaire comme le dollar pour faire du commerce, cela crée des difficultés superflues. Alors oui, les cryptomonnaies pourraient un jour être utiles à cet égard. Mais, selon moi, l’Afrique a surtout tout à gagner de la technologie sur laquelle reposent les cryptomonnaies, à savoir la blockchain. Cette technologie permet de traiter les transactions de manière sûre et transparente, indépendamment de toute instance de réglementation extérieure. Le bitcoin et les autres cryptomonnaies ont déjà du succès en Afrique auprès de ceux qui souhaitent diversifier leurs investissements ou faciliter les transferts internationaux. Je pense que cette technologie est appelée à trouver de multiples applications.
Q: Revenons aux monnaies traditionnelles. Si je vous donne un milliard de dollars, dans quoi allez-vous les investir en Afrique ?
A: Ça dépend ! Si mon investissement ne vise qu’à avoir un effet sur le développement, je le consacrerais à l’instruction de la population. La réduction de la pauvreté passe en grande partie par le renforcement de la productivité et des compétences. L’argent serait donc bien investi s’il permettait aux individus d’acquérir les compétences dont ils ont besoin pour saisir de nouvelles opportunités. Cependant, si j’investissais dans un but strictement lucratif, je m’intéresserais au secteur des technologies : les technologies numériques, les technologies biologiques ou même d’autres compétences émergentes liées à l’économie numérique, comme la conception de produits. Même si l’impact sur le développement est plus difficile à mesurer ici, le secteur technologique africain est très prometteur et une organisation comme IFC devrait y investir davantage.
Enfin, si je voulais à la fois produire un impact et obtenir un gain financier, j’investirais dans les infrastructures, y compris numériques. Plus précisément, je m’intéresserais à l’électricité et aux transports, mais aussi aux éléments qui sont à la base de l’économie numérique, comme les centres de données et la fibre optique. Bien sûr, un milliard de dollars ne permet pas d’aller bien loin en matière d’infrastructures, et je devrais donc cibler des projets de taille plus modeste, avant de les refinancer une fois qu’ils sont opérationnels.
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Initialement publié en juin 2021