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Au Maghreb, les start-up contribuent à améliorer la vie quotidienne

avril 28, 2020
Farm Trust employees pack fruits and vegetables for delivery in the greater Tunis area. The start-up supplies 80 boxes on a daily basis.
Photographer: Salma Aloui

Shobhna Decloitre

Alors que le coronavirus entamait sa progression mortelle en Algérie le mois dernier, Nourredine Tayebi a été frappé par un phénomène.

Cet entrepreneur a remarqué que, malgré les injonctions des pouvoirs publics à rester chez soi, les Algériens souffrant de maladies relativement mineures continuaient d’affluer dans les hôpitaux et les cliniques, transformant ces endroits en bouillons de culture idéaux pour le virus.

Fondateur de YASSIR, une plateforme de voitures de tourisme avec chauffeur de type Uber, Nourredine Tayebi a alors décidé d’agir.

Avec ses ingénieurs, il a mis au point un service en ligne permettant aux médecins d’effectuer des consultations gratuites par vidéo, limitant ainsi les bousculades dans les salles d’attente des hôpitaux.

« En arabe, yassir signifie ‘simplifier les choses’. En tant qu’entreprise opérant au Maghreb, nous avons considéré qu’il était de notre devoir d’aider les gens que nous servons », explique Nourredine Tayebi.


Le responsable de la flotte chez YASSIR, Hassan Ait Lahcen, inspecte un taxi désinfecté dans le cadre d’une action de soutien aux communautés locales à Casablanca, au Maroc. © Abdelilah Abouelfadel

Depuis l’apparition du premier cas de coronavirus au Maghreb (fin février en Algérie), la maladie s’est rapidement propagée dans le reste de la région. Au 27 avril, selon des données de l’OMS, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie comptaient 8 396 cas confirmés et déploraient 624 décès. La pandémie menaçant de submerger les systèmes de santé, ces trois pays ont décrété fin mars le confinement de près de 90 millions d’habitants, contraints pour la plupart de rester chez eux.

YASSIR fait partie de ces start-up technologiques qui ont décidé d’aider la région à surmonter la crise due à la pandémie de COVID-19. Ces entreprises, dont beaucoup n’ont que quelques années d’existence et des effectifs réduits, proposent un large éventail de services, de la préparation des lycéens à l’entrée à l’université jusqu’à la livraison de fruits aux personnes en quarantaine.

« Les start-up sont le fer de lance de l’innovation et de nouveaux modèles de développement dans la région », souligne Xavier Reille, manager d’IFC pour les pays du Maghreb. « Les avancées que nous observons démontrent tout le potentiel des jeunes entrepreneurs, non seulement face à la gestion de la crise du coronavirus mais également à bon nombre des défis auxquels la région est confrontée. »

Le Maghreb Startup Network (a), un réseau lancé l’an dernier par des acteurs du secteur privé avec le soutien du Groupe de la Banque mondiale, est en train de recenser les structures qui, comme YASSIR, se sont mobilisées face au coronavirus pour faciliter le partage de leurs solutions et leur adoption dans les autres pays du Maghreb. Des start-up qui s’emploient à relever les défis et les besoins liés à la pandémie pour aider leurs communautés.

Ouvrir des classes virtuelles

Au Maroc, où les établissements scolaires sont fermés depuis le 16 mars, la start-up eDukaty propose des cours en ligne pour préparer les élèves aux examens d’entrée dans les meilleures écoles de commerce et d’ingénieurs. Depuis la pandémie, les cours sont gratuits.

« Ici, les gens souffrent. Faute de connexions internet suffisantes, les enseignants ne peuvent pas continuer à travailler depuis chez eux. Nous faisons donc venir des enseignants qualifiés dans nos locaux à Casablanca, qui utilisent nos installations pour délivrer leurs cours en direct », explique l’un des cofondateurs de eDukaty, Othmane Akherraz.

Pour Lehyanti Mohamed Amine, élève de 19 ans au lycée Réda Slaoui à Agadir, ce système à distance lui évite de prendre du retard dans sa préparation aux examens d’entrée dans une école de commerce. Les épreuves ont été reportées d’avril à juin et cela lui permet de gagner un précieux temps d’étude :

« Quand mon lycée a fermé, il a fallu un certain temps avant que les cours en ligne se mettent en place. Avec eDukaty, ma formation s’est poursuivie comme si de rien n’était. Je suis bien content d’avoir pu poursuivre ma préparation à ces examens exigeants », déclare-t-il.

Favoriser la télémédecine

La pandémie a accru la pression sur des systèmes sanitaires déjà sous tension dans la région, stimulant la créativité de nombreuses start-up tout en faisant exploser la demande de consultations à distance.

Le site internet et l’application mobile DabaDoc, qui mettent en contact patients et médecins, ont connu une hausse significative de la demande de services. Créée en 2014 pour permettre aux patients de choisir leur médecin et de prendre rendez-vous, la plateforme réunit désormais 8 000 praticiens algériens, marocains et tunisiens, indique sa cofondatrice Zineb Kaitouni.

« Avec la pandémie, les médecins se sont tournés vers nous pour nous demander d’étendre l’accès à cet outil à tous les spécialistes, et non plus seulement aux généralistes », raconte-t-elle. « Nous avons travaillé nuit et jour pour adapter la plateforme aux requêtes simultanées de millions de patients et de milliers de médecins. »

La propagation du virus fait aussi que certaines personnes doivent obtenir des équipements médicaux pour un traitement à domicile. Viventis, une entreprise de fabrication de matériel médical installée en Tunisie, a redoublé d’efforts pour créer un concentrateur d’oxygène, indispensable pour améliorer le confort respiratoire des patients, qui pourrait jouer un rôle central dans la prise en charge à domicile post-crise. Le produit n’a pas encore été mis sur le marché mais l’entreprise attend son homologation par l’Union européenne, indispensable pour les nouveaux appareils médicaux destinés aux pays du Maghreb.

« Nous avons commencé à travailler sur ce concentrateur avant le début de l’épidémie de coronavirus. Nous savions déjà que nous ne pouvions pas être totalement dépendants des importations de matériel médical, que ce n’était pas viable », indique Medhi Bouzouita, chef d’exploitation chez Viventis, qui précise que cet appareil convient également aux personnes faiblement atteintes par le coronavirus et qui sont traitées chez elles.


La startup Farm Trust fournit 80 colis de nourriture chaque jour. © Salma Aloui

Préserver la santé de la nation

Autre start-up basée en Tunisie, Farm Trust permet aux gens de continuer à se nourrir correctement même pendant leur quarantaine. Elle organise pour cela des livraisons de fruits et de légumes frais directement des exploitations vers la capitale, Tunis. La demande ayant bondi de 300 % depuis le début de la pandémie, elle fait son maximum pour tenir le rythme. Aujourd’hui, Farm Trust livre 80 colis par jour à ses clients, nouveaux et anciens, qui commandent plus de fruits et de légumes que d’habitude.

L’entreprise a embauché des salariés du secteur touristique, mis sur le carreau par la crise, pour doubler ses effectifs, qui sont passés à 20 personnes désormais, souligne son cofondateur Wessim Khiari. Elle reverse par ailleurs 10 % de son chiffre d’affaires à des familles défavorisées.

Farm Trust est accompagnée par l’accélérateur Flat6Labs Tunisia, une structure régionale soutenue par les programmes d’investissement et de conseil d’IFC.

« Manger des fruits et des légumes frais est encore plus important que d’habitude, pour renforcer nos systèmes immunitaires », rappelle Wessim Khiari.

Pour Ness Zouaoui, client désormais régulier de Farm Trust à cause de la crise du coronavirus, le service remplace les courses en famille dans les marchés, rendues impossibles à cause du confinement général.

« En temps normal, mon père va au marché à la rencontre de ses producteurs favoris pour acheter des fruits et des légumes. Aujourd’hui, ce n’est plus possible », conclut-il.

Publié en avril 2020