Gloria Mwaniga Odary
Tout a commencé par une histoire de bananes.
Peter Njonjo et Grant Brooke devaient exporter des bananes au Moyen-Orient. Mais l’affaire est tombée à l’eau. Alors notre duo d’entrepreneurs a décidé de vendre ses produits aux petits marchands ambulants de Nairobi.
Offrir des fruits africains à une clientèle africaine : le projet semblait simple sur le papier. Il s’est avéré bien plus compliqué dans la pratique.
En plongeant dans l’économie informelle kényane, les deux entrepreneurs sont confrontés aux dysfonctionnements des circuits de commercialisation qui acheminent la production des agriculteurs et aux consommateurs. Soit autant d’inefficacités qui, à commencer par la dépendance excessive à l’égard d’intermédiaires gourmands, plombent la chaîne d’approvisionnement du commerce de détail et font monter les prix de nombreux aliments de base.
« Nous nous sommes rendu compte que la part des revenus consacrée à ces dépenses de consommation au Kenya aujourd’hui était égale à celle des consommateurs américains il y a 150 ans », se remémore Peter Njonjo. Selon le Forum économique mondial , les ménages kényans ont consacré 46 % de leur revenu à l’alimentation en 2015, soit l’un des pourcentages les plus élevés au monde — à titre de comparaison, ce chiffre s’élève à 6,4 % aux États-Unis et à 8,2 % au Royaume-Uni.
Peter Njonjo et Grant Brooke commencèrent par chercher une solution technologique qui permettrait de commercialiser les denrées à un coût abordable. Faute d’en trouver une déjà disponible, ils mettent sur pied une plateforme de commerce numérique destinée aux transactions entre agriculteurs et marchands. Nous sommes en 2014, Twiga est née. La société de commerce électronique entre entreprises (B2B) agrège la demande des petits vendeurs de fruits et légumes de Nairobi et offre aux agriculteurs un marché sécurisé.
Peter Njonjo, cofondateur et PDG de Twiga, participe à «Africa Talks Tech». Photo par: Dominic Chavez / IFC
Un système qui permet aux producteurs de réduire leurs pertes après la récolte et de se passer des intermédiaires. Et qui a aussi de nombreux avantages pour les vendeurs de fruits et légumes, qui ne sont plus contraints de se lever à l’aube pour se rendre sur les marchés de gros et s’approvisionner en produits de qualité douteuse. L’app de Twiga permet aux marchands de passer leurs commandes en ligne : pommes de terre, riz, huile, ananas, sucre et, bien sûr, bananes. La société les livre ensuite directement, à leur étal ou leur échoppe.
Elle dessert actuellement quelque 7 000 points de vente à travers un réseau de 17 000 agriculteurs et 45 000 marchands. Le paiement des transactions peut s’effectuer sur l’application mobile via le service de paiement mobile M-Pesa. Selon Peter Njonjo, la plateforme permet de réduire les pertes post-récolte de 30 à 4 %.
La société a su mobiliser l’offre et la demande, mais aussi les investissements. L’une des start-up ayant attiré le plus de financements sur le continent, Twiga a levé 56,1 millions de dollars auprès d’investisseurs, dont IFC.
Pour Peter Njonjo, qui a grandi au Kenya, remédier à la cherté des aliments en Afrique répond à une quête personnelle qui puise son inspiration dans l’exemple de ceux qui l’ont précédé : « Je me souviens avoir lu des articles sur des entrepreneurs qui avaient pris les devants et créé des entreprises ayant un impact positif sur la vie des gens. »
La graine de l’entrepreneuriat a germé très tôt chez Peter Njonjo, ainsi que son espoir de fonder un jour une entreprise qui changerait aussi la donne. « Plus tard, alors même que je travaillais pour une entreprise, j’avais déjà la fibre entrepreneuriale : je m’évertuais toujours à lancer des idées et de nouvelles activités. C’est ce qui m’a donné le courage de sauter le pas et de créer mon entreprise. »
Pour autant, ses débuts se sont révélés autrement plus difficiles qu’il ne l’imaginait. Le start-uppeur admet volontiers qu’après avoir travaillé pendant vingt ans pour Coca-Cola en Afrique, il n’était guère aguerri au mode de fonctionnement itératif et par tâtonnements propre aux entreprises technologiques. Un entrepreneur « crée quelque chose qui n’existe pas », analyse Peter Njonjo, encore et toujours animé par la perspective d’inventer des solutions technologiques utiles au continent.
« En Afrique tout particulièrement, beaucoup d’industries recourent peu à la technologie, ce qui génère des inefficacités et, par là même, beaucoup d’opportunités. Cela vaut pour quasiment tous les secteurs. »
Aujourd’hui, Peter Njonjo envisage d’aller plus loin : fournir des produits frais et agroalimentaires de qualité supérieure et à un coût abordable à une population urbaine en plein essor — le nombre de citadins en Afrique devrait doubler au cours des 25 prochaines années pour atteindre près d’un milliard d’habitants.
« Les perspectives de débouchés sont immenses dans cette partie du monde. C’est une économie importante qui offre des opportunités tout aussi considérables. La technologie peut aider à résoudre un grand nombre des problèmes de l’Afrique et je me réjouis vraiment d’être ici à ce moment de notre histoire. »