Story

Les tramways, accélérateurs de progrès au Maroc

décembre 6, 2020

Alison Buckholtz

Casablanca bouillonne de vie et l’activité économique est florissante. Le spectacle de ses tramways colorés qui sillonnent les boulevards, contournent les palmiers et se faufilent dans des quartiers résidentiels où les immeubles semblent se toucher en est la parfaite illustration.

Depuis 2012, ce système de transport en commun simplifie la vie des habitants, des touristes et de tous ceux qui travaillent dans la première ville et place financière du Maroc. Traversant toute l’agglomération en desservant magasins, sites incontournables et plateformes de correspondance, les tramways donnent un coup de fouet à l’activité des entreprises opérant localement ou à l’international.

Mais avec l’arrivée massive de ruraux en provenance de tout le pays, les systèmes de transport de la ville peinent à suivre le rythme de cette urbanisation — avec, à terme, le risque d’enrayer la dynamique de croissance.

À cause des tramways toujours plus bondés, « de nombreux habitants comme moi sont souvent en retard », explique Nadia Hajli, une voyagiste de 51 ans qui emprunte depuis longtemps ce réseau. Vu le nombre de personnes à bord mais aussi du fait des récents changements d’itinéraire, son trajet habituel dure désormais environ 20 minutes de plus qu’avant. La peur d’arriver en retard à son travail l’accompagne au quotidien. Avant, elle profitait du trajet pour lire. Maintenant, dit-elle, « je passe plutôt mon temps à m’angoisser pour ma correspondance, à me demander si je pourrai monter dans une voiture, si je serai à l’heure… »


L’explosion du nombre de citadins nécessite d’étendre les nouvelles lignes de tram dans la région. Photo : Shutterstock

Pour Mustapha Bakkoury, président de la région Casablanca-Settat, l’une des douze divisions administratives du pays, il faut renforcer les capacités et le réseau de tramways pour soutenir la croissance de la métropole :

« Casablanca est le poumon économique du Maroc », souligne-t-il. « En optimisant les transports urbains et le réseau routier local, nous rapprochons les habitants des emplois et des services, réduisons les écarts régionaux et améliorons la qualité de vie des habitants pour des décennies. »

Mais il ne s’agit pas simplement de raccrocher deux ou trois wagons supplémentaires aux rames. Le processus d’accompagnement de la croissance régionale a démarré loin des plateformes de transport, dans les bâtiments municipaux où des responsables marocains planchent depuis 2018 avec des équipes d’IFC pour installer des conditions propices aux réformes et à l’investissement en vue d’étendre le réseau de tramways et le réseau routier dans les zones rurales environnantes et, éventuellement, d’autres réseaux d’infrastructure. Cet engagement de long terme pour cultiver l’investissement est typique de la volonté d’IFC de privilégier les travaux « en amont » afin de mobiliser les solutions et les investissements d’opérateurs privés face aux défis de développement les plus pressants.

De tels changements pourraient répondre aux besoins de transport de long terme à Casablanca, alléger le quotidien de centaines de milliers de personnes tout en rendant l’environnement plus accueillant, avec le renforcement de l’éclairage public et des mesures de sécurité.

L’avenir est sur les rails

Avant la pandémie de COVID-19, le réseau de tramways de Casablanca transportait des dizaines de milliers de personnes par jour ; avec la reprise de l’activité et la hausse de la demande de passagers, ces chiffres vont eux aussi grimper. L’investissement d’IFC va permettre de construire deux nouvelles lignes, ajoutant ainsi 39 stations et 26 kilomètres au réseau existant avec, à la clé, une diminution du temps de trajet pouvant atteindre 40 %. Faciliter l’accès à l’emploi et alimenter ainsi l’économie est un enjeu important pour cette région, qui contribue au PIB du pays à hauteur de 32 %.

Le projet devrait faciliter la vie quotidienne de plus de 2 millions de Casablancais résidant à proximité des nouvelles lignes. D’ici 2030, les rames devraient transporter en moyenne 266 500 passagers par jour, réduisant aux heures ouvrées le temps moyen de trajet de chaque passager de 35 % par rapport aux autres modes de transport.

Pour Nadia Hajli, la perspective de pouvoir traverser plus facilement Casablanca « sera un vrai soulagement. » Sa fille de 19 ans, qui avait décidé de changer d’école pour ne pas avoir à emprunter des tramways bondés, sera elle aussi gagnante de cette réorganisation.

Au vu des projections démographiques, cette extension est vitale : selon les Perspectives d’urbanisation dans le monde des Nations Unies, 74 % des Marocains vivront en ville d’ici 2050, contre 60,3 % en 2014. Au cours des 15 prochaines années, les villes du royaume accueilleront 5,8 millions d’habitants supplémentaires. Avec cette urbanisation rapide, le nombre de quartiers densément peuplés a lui aussi bondi.

Les interventions en faveur des ruraux sont tout aussi indispensables : dans la région de Casablanca-Settat, des milliers de kilomètres de routes rurales sont devenus quasiment impraticables. Plus de 400 000 personnes, le plus souvent pauvres, vivent dans ces zones mal desservies et doivent se battre au quotidien pour se rendre à l’école, au marché ou à l’hôpital. La remise en état des routes rurales, qui fait également partie du projet, profitera à tous. En plus de créer directement 3 500 emplois locaux, elle va améliorer la mobilité physique et l’accès à des services sociaux et des infrastructures économiques critiques.

L’extension du réseau routier local dans les zones rurales de la région de Casablanca-Settat permettra ainsi d’atténuer les inégalités territoriales. Photo : Shutterstock

Grâce à l’approche innovante qui a présidé à son financement, cette opération aura des bénéfices moins tangibles mais probablement encore plus précieux à long terme pour la région. Pour la première fois, IFC a investi directement 100 millions de dollars de financements de long terme dans une collectivité locale, en l’occurrence la région de Casablanca-Settat. Contrairement aux autres transactions de ce type, ce prêt n’implique pas de garantie souveraine des autorités nationales du pays. IFC envoie ainsi un signal aux investisseurs internationaux, prouvant que le marché infranational marocain est mûr pour les investissements commerciaux.

Créer les conditions du changement

Au départ, ce projet polyvalent pour développer le tramway et les routes à Casablanca, marqué par plusieurs jalons importants, était loin d’être acquis. Il a fallu concevoir puis définir une feuille de route respectant les normes d’IFC et susceptible d’attirer des investissements privés sur la durée.

« Le processus a été long », reconnaît Marco Sorge, responsable d'investissements principal à IFC qui dirige l’équipe en charge du projet depuis son lancement, fin 2018. « C’était la première fois que nous travaillions directement avec les autorités régionales du Maroc. Nous avons dû nous familiariser avec ce nouveau profil client et rendre le principe suffisamment séduisant pour attirer des investissements. »

L’autonomie propre aux régions du Maroc contribue au caractère unique des initiatives engagées. La Constitution de 2011 consacre le rôle des collectivités locales comme interface privilégiée entre l’État et les citoyens. La loi organique relative aux régions de 2015 confirme la place des régions dans l’administration et la fourniture de services à l’échelon local. Cette décentralisation, et la volonté d’un président de région « visionnaire », ont ouvert la voie à de nouvelles idées suffisamment attrayantes pour encourager les investisseurs à miser sur la région, précise Marco Sorge. « Ce projet, qui a créé un marché pour des financements infranationaux non souverains au Maroc, pourrait bien modifier la manière dont les investisseurs envisagent leurs placements dans ce pays. »

L’opération financière s'est accompagnée d’un programme de services de conseil mené sous l’égide de l’Initiative d’IFC pour les Villes et financé par le gouvernement japonais. Ce programme a porté sur l’expertise technique en matière de construction et d’entretien des routes, et donné lieu à des collaborations visant à garantir le respect des normes de gouvernance environnementale et sociale d’IFC. Pour favoriser la mobilité, IFC soutient le renforcement des mesures de sécurité dans la région à travers l’installation d’un éclairage public à haute efficacité énergétique

The process of ensuring regional growth includes improvements to the landscape such as public lighting and safety measures.
L’amélioration prévue de l’environnement ambiant, notamment par le biais de l’éclairage public et de mesures de sécurité, contribue à soutenir la croissance régionale. Photo : Arne Hoel/Banque mondiale

Une vision de long terme

Ce projet ambitieux prend ses racines dans plusieurs programmes portés par le gouvernement marocain et la Banque mondiale en vue de renforcer le développement local. Mais ces initiatives ont eu du mal à décoller. N’ayant pratiquement jamais bénéficié de financements commerciaux pour développer leurs infrastructures et ne pouvant s’adresser qu’à un seul organisme public de prêt destiné aux collectivités locales, les municipalités se sont mises en quête de nouvelles sources d’investissement.

Après analyse de la situation, en collaboration avec la Banque mondiale et avec l’aval des ministres concernés, IFC a décidé de tester un nouveau modèle de financement des collectivités infranationales sans garantie souveraine. Toujours associée, la Banque mondiale a créé et lancé un projet pour aider les collectivités locales du Maroc à optimiser leurs processus de gestion financière. Il s’agissait de les rendre plus transparents pour pouvoir attirer des financements commerciaux.

L’extension du programme d’IFC à d’autres régions du pays est actuellement à l’étude.

« Avant qu’IFC ne s’engage auprès de la région de Casablanca-Settat, aucune banque commerciale n’avait envie de prêter de l’argent aux collectivité marocaines. Aujourd’hui, elles se montrent intéressées », constate Marco Sorge. « Cela permet d’ouvrir le marché. »

Participez à la discussion. #IFCmarkets

Publié en décembre 2020

Shobhna Decloitre a participé à la rédaction de cet article.