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Les leçons de l’épidémie d’Ebola : retours d’expérience

mars 30, 2020
Employees of Vitafoam working in Freetown, Sierra Leone on June 19, 2015. Photo © Dominic Chavez/World Bank

By Jason Hopps

NAIROBI (Kenya) — Quand l’épidémie d’Ebola a frappé la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone en 2013 et en 2014, la vie s’est brusquement arrêtée : écoles, bars et restaurants fermés, transports à l’arrêt et citoyens sommés de se laver fréquemment les mains, de s’isoler et de rester chez eux. Cela vous rappelle quelque chose ?

Déjà pénalisées par un accès limité aux investissements, l’étroitesse de leurs marchés et une érosion malvenue du prix des matières premières, ces trois économies se sont retrouvées au bord du gouffre.

« Avoir survécu, notamment aux années de guerre civile et d’insécurité, pour se retrouver laminés par Ebola, c’était un vrai coup dur », se souvient Eric Mabushi, alors coordinateur en Guinée de l’initiative d’IFC en faveur des États touchés par les conflits en Afrique (CASA). « Les pays touchés ont dû gérer les conséquences sanitaires et économiques de l’épidémie… et beaucoup redoutaient d’avoir à affronter une nouvelle décennie perdue. »

Les mêmes craintes s’expriment aujourd’hui face à la pandémie de Covid-19, qui fait des ravages partout dans le monde mais n’a pas encore frappé le continent africain avec la même force qu’ailleurs. Ce qui signifie que les pays d’Afrique disposent toujours d’une fenêtre de tir pour prévenir l’apparition d’une crise majeure.

Soucieux de ralentir la propagation du virus, de nombreux gouvernements africains ont décidé de fermer les écoles et de restreindre la vie sociale. Le Groupe de la Banque mondiale a réagi avec une enveloppe de financement accéléré de 14 milliards de dollars—dont 8 milliards mobilisés par IFC — afin d’aider les pays et les entreprises à maintenir une activité économique, préserver les échanges de biens et de marchandises et protéger les emplois.

En réaction à la pandémie de Covid-19, IFC est déjà en ordre de marche pour lancer des investissements rapides dans 300 entreprises environ, y compris en étendant ses financements de crédits commerciaux et de fonds de roulement vers des institutions financières partenaires. IFC aide par ailleurs ses clients opérant dans les secteurs fragilisés par la pandémie (infrastructures, fabrication, agriculture et services).


La crise Ebola a convaincu le fabricant nigérian de matelas Vitafoam de l’importance de développer les capacités locales. Photo : Dominic Chavez (2015).

L’épidémie Ebola, qui a frappé l’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, a fait plus de 11 000 victimes et a plombé la croissance dans les trois pays les plus touchés. Selon un rapport (a) de la Banque mondiale, l’impact économique d’Ebola sur cette région se chiffre à 2,8 milliards de dollars, soit environ le tiers des PIB combinés de la Guinée, du Libéria et de la Sierra Leone à cette époque-là.

Mais en dépit d’une situation plus que désespérée, la région a pu se redresser, grâce à la résilience des gouvernements, des populations et des entreprises africains — et grâce à l’aide internationale.

Face à la crise, IFC a mobilisé au bas mot 450 millions d’aide financière en faveur du commerce, des investissements et de l’emploi, débloquant notamment, à travers l’initiative CASA, des fonds pour des projets de riposte rapide et pour des investissements à plus long terme liés au redressement économique post-épidémie.

Au Libéria par exemple, les banques se sont appuyées sur les ressources d’IFC pour financer des importateurs de produits alimentaires, de médicaments et d’autres biens. Saramory Kampo, qui travaillait déjà au bureau d’IFC en Guinée en 2013, rappelle les trois facteurs ayant permis aux entreprises de faire le dos rond pendant la tempête :

« Réagir vite, tirer rapidement les enseignements et obtenir une aide financière vraiment utile. Certes, de nombreuses entreprises ont fait faillite — c’était inévitable — mais ce sont celles qui n’ont pas réagi suffisamment vite, n’ont pas inculqué à leur personnel les règles sanitaires et d’hygiène et n’avaient pas suffisamment de réserves ou n’ont pas reçu d’aide. »

En plus d’injecter des liquidités dans la région et de maintenir du personnel sur le terrain, IFC a enrôlé des experts en santé et en sécurité chargés d’élaborer des supports de formation et aider des centaines d’entreprises à mieux se protéger elles-mêmes et leurs clients. IFC a également accompagné les entreprises pour préparer des plans d’urgence et de poursuite de l’activité.

« L’accès aux financements était évidemment un facteur clé pendant la crise, à travers surtout des prêts libellés en monnaie locale pour éviter aux emprunteurs de subir les fluctuations du taux de change. Mais le fait de s’armer soi-même et son entreprise de connaissances s’est révélé tout aussi crucial », insiste Saramory Kampo. « Une bonne hygiène et le dépistage précoce des symptômes font vraiment la différence… Si tout votre personnel tombe malade, votre entreprise aura beau disposer de tous les financements du monde, elle ne pourra pas poursuivre son activité. »


Au début de l’épidémie d’Ebola en Sierra Leone, Vitafoam venait d’ouvrir une usine et une plateforme de distribution dans le pays. Photo : Dominic Chavez (2015) 

Pour Giima Lavaly, qui travaillait en Sierra Leone en pleine crise Ebola, la situation, difficile, imposait des décisions difficiles :

« J’ai mis ma mère dans l’un des derniers vols au départ de Freetown, mais moi, je suis restée », explique celle qui a rejoint IFC en Sierra Leone en août 2015. « Pendant plusieurs jours, le confinement a été total et de nombreuses entreprises ont fait faillite. Celles qui ont réussi à s’en sortir avaient formé leur personnel aux gestes barrières et ont souvent fait preuve d’inventivité pour continuer à écouler leur marchandise. »

Ce fut le cas de Vitafoam, une entreprise nigériane de fabrication de matelas cliente d’IFC. Au début de l’épidémie, elle venait juste d’ouvrir une usine et une plateforme de distribution dans le pays.

« Jamais nous n’aurions pu anticiper une crise sanitaire d’une telle ampleur », rappelle Ola Ogunfeyitimi, PDG de Vitafoam Sierra Leone. « Mais nous avons eu la chance d’avoir un stock suffisant de matières premières et même si nous ne vendions plus aucun matelas aux particuliers et aux hôtels, nous avons travaillé avec les hôpitaux et les ONG pour fournir des lits aux milliers de malades du pays. »

Pour Ola Ogunfeyitimi, la crise Ebola l’a convaincu, entre autres choses, de la nécessité de renforcer les capacités locales et diversifier ses chaînes d’approvisionnement. Pendant l’épidémie d’Ebola, plus rien — ni les biens, ni les personnes — ne pouvait plus pénétrer en Sierra Leone. Si une machine tombait en panne ou avait besoin d’une pièce détachée, Vitafoam devait faire appel aux ressources locales.

« La pandémie de coronavirus confirmera la pertinence de cet enseignement mais, cette fois, la situation est encore plus complexe », ajoute-t-il. « Les entreprises d’Afrique ne pourront probablement pas obtenir une aide extérieure aussi massive, puisque le reste du monde est en proie à la pandémie. Nous aurons certes besoin d’être aidés mais si nous voulons maintenir nos économies à flot, nous devons aussi nous aider nous-mêmes, en développant les capacités locales et en privilégiant l’approvisionnement local. »

Publié en mars 2020