Par Moussoukoro Diop
Mon téléphone est mon meilleur ami. Grâce aux réseaux sociaux, je peux garder le contact avec mes proches depuis chez moi, même en vivant loin d’eux.
Lorsque j’ai entendu parler du premier cas déclaré de coronavirus au Sénégal, j’ai immédiatement pensé à ma mère. Depuis que mon père est décédé, l’an dernier, elle est tout pour moi et ma première raison de vivre. Lorsque je l’appelle, j’écoute attentivement le son de sa voix, puis je m’enquière de sa santé et m’assure qu’elle et le reste de la famille respectent bien toutes les consignes sanitaires. Elle est en confinement depuis la mi-mars.
Alors que je m’inquiète pour elle, elle aussi s’inquiètepour moi : « Ne sors pas de chez toi », me répète-t-elle sans cesse. Le fait que je vive seule, aux États-Unis, dans un pays qui compte plus d’un million de cas et 75 000 morts (alors qu’au Sénégal, 1 709 cas seulement ont été déclarés pour 19 décès), n’est pas pour la rassurer.
Malgré les 6 500 kilomètres qui me séparent du Sénégal, j’ai l’impression d’y retourner chaque fois que j’ouvre mon téléphone. C’est l’objet qui me permet de garder le contact avec ma mère et mes amis, mais aussi de connaître les initiatives lancées par mes compatriotes pour se protéger les uns les autres. La pandémie de COVID-19 m’a aidée à réapprendre, ou plutôt à redéfinir, le pouvoir des réseaux sociaux.
L’union fait la force
Dans mon pays, je suis ce que le monde des médias sociaux appelle une « influenceuse », avec presque 24 000 abonnés sur mon compte Twitter. En plus de celles et ceux qui me suivent, mon influence s’étend à celles et ceux qui les suivent. Ce qui veut dire que les messages que j’envoie à mon réseau peuvent, potentiellement, toucher des centaines de milliers de Sénégalais. Mes statuts WhatsApp — des mises à jour qui disparaissent au bout de 24 heures — s’enchaînent les uns aux autres, formant comme une chronique sur le coronavirus.
J’ai donc décidé d’exploiter mon influence. Et j’invite tous mes proches — parmi lesquels de nombreux chefs d’entreprise, des petits entrepreneurs et des artistes — à m’emboîter le pas.
Rester en bonne santé est la première de nos priorités, suivie par la nécessité de sauver les entreprises et les emplois. Plus que jamais, la rapidité est importante lors du partage d’informations sur la pandémie de COVID-19.
Des gens me contactent pour relayer leurs messages, y compris le ministère de la Santé, le Réseau des blogueurs du Sénégal et certains des musiciens les plus célèbres du pays. Ensemble, nous diffusons à nos concitoyens, jour après jour, les mêmes messages. En voici quelques exemples.
« Nous nous inscrivons toujours dans une perspective d'anticipation avec une stratégie de flexibilité. Ensemble, nous vaincrons », a écrit notre ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr..
Abdoulaye Diouf Sarr, Ministre de la santé du Sénégal. Crédit Photo : Ministère de la Santé du Sénégal.
Un appel à l’action des artistes et des innovateurs
Youssou Ndour, le célèbre chanteur et homme d’affaires sénégalais, lauréat d’un Grammy Award, qui est à l’origine de l’initiative #DaanCorona (combattre le coronavirus), me disait ceci : « Les jours passent, mais ne se ressemblent pas. L’avenir sera différent car cette pandémie nous montre que nous devons apprendre à vivre autrement. Elle envoie aussi un signal fort pour inviter chacun à bâtir un monde plus équitable. »
Il s’est montré particulièrement préoccupé par la situation des start-up au Sénégal et dans le reste de l’Afrique : « Aux jeunes entrepreneurs africains : pour continuer à exister dans ce monde, vous devez parvenir à vous adapter rapidement et, s’il le faut, vous réinventer. » Plusieurs fois, Youssou Ndour a organisé des concerts pour ses fans depuis chez lui, afin de les inciter à rester chez eux.
Les perturbations et l’incertitude sont devenues le quotidien des petites entreprises. Pour soutenir les jeunes entrepreneurs, l’association sénégalaise, Jeader, a lancé des webinaires hebdomadaires avec des experts afin de répondre à toutes leurs questions à propos de l’impact du coronavirus. Je voudrais souligner aussi l’initiative d’étudiants de l’École supérieure polytechnique, où j’ai fait mes études : avec son équipe, l’ingénieur systèmes Mouhamadou Lamine Kebe a programmé Dr Car, un robot capable de livrer des repas et des médicaments aux patients hospitalisés.
Mon ami graffeur Docta utilise son art pour sensibiliser les populations. L’une de ses dernières compositions illustre les mesures à prendre pour prévenir la propagation du coronavirus : se laver les mains, utiliser un gel hydroalcoolique et tousser dans son coude. Car il est convaincu que les graffs sont un moyen visuel puissant pour s’adresser aux passants.
Docta, de son vrai nom Amadou Lamine Ngom, a été qualifié de "pionnier de l'art du graffiti" au Sénégal. Crédit Photo: Atougou / Nomad Pasteef.
Le langage reste aussi un outil de communication vital. Avec ses quelques 300 bénévoles, la Ligue africaine des blogueurs en santé, population et développement (LAB SANTÉ) a réalisé des enregistrements en 20 langues locales, qui sont ensuite diffusés via les médias sociaux : « La santé numérique ouvre des perspectives incroyables en Afrique », se réjouit Cheikh Bamba Ndao, son président.
Les femmes mènent la riposte
Au Sénégal, les femmes sont en première ligne pour combattre le coronavirus. Selon les résultats d’une enquête de conjoncture réalisée par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie en 2016, 32 % des entreprises ont été créées par des femmes.
Ensemble, la FAO, ONU Femmes et le FNUAP ont lancé l’initiative « Le panier de la ménagère », en apportant au gouvernement sénégalais des fonds et une expertise technique pour acheter aux productrices et aux jeunes agriculteurs du riz, des céréales et des légumes. Ces produits sont ajoutés aux distributions d’aliments de base organisées pour les familles vulnérables.
« Nous voulons nous assurer que les femmes agricultrices ne sont pas abandonnées pendant la crise », explique Oulimata Sarr, directrice régionale d’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
D’après Coumba Sow, coordonnateur pour le programme de résilience de la FAO en Afrique de l’Ouest et au Sahel, cette initiative sera déployée à travers une plateforme numérique lancée depuis deux ans et qui peut toucher 100 000 agriculteurs.
Et dans un pays où tout le monde ne peut s’offrir le luxe de rester chez soi, le gouvernement a obligé tous les citoyens à porter un masque dès qu’ils s’aventurent dans l’espace public.
La styliste Bijou Sy a.k.a Touty, une entrepreneuse locale pleine d’énergie, a eu la géniale idée de lancer l’initiative « 1 Sénégalais, 1 masque » avec le collectif de créateurs Atelier 221 et en collaboration avec l’association Racines de l’Espoir. Le but est de distribuer gratuitement des masques lavables et réutilisables en tissu fabriqués par 1 000 bénévoles dans tout le pays.
« Nous voulons apporter une réponse sociale à la pandémie de COVID-19 et mettre à l’honneur le savoir-faire des artisans sénégalais. Nous lançons un appel à tous les designers d’Afrique », m’a confié Bijou.
Comme l’affirme un proverbe wolof, la langue parlée par une majorité de Sénégalais : Mbolo moy dolé, ce qui signifie « l’union fait la force ». Je suis convaincue que, grâce aux réseaux sociaux et aux idées novatrices de nombreux entrepreneurs et autres citoyens, cette unité dont nous faisons preuve face à la pandémie va nous éviter de sombrer dans les ténèbres.
Moussoukoro Diop, chargée de communication à IFC, a grandi à Dakar, la capitale du Sénégal.
Publié en mai 2020