John Donnelly
Face à la crise du coronavirus (COVID-19), les pouvoirs publics sont à la manœuvre, tout en s’appuyant aussi considérablement sur l'aide de nombreux acteurs, des organisations multilatérales au secteur privé, en passant par la société civile et les fondations. Comment ces partenariats peuvent-ils fonctionner efficacement sans compliquer la riposte à la pandémie ?
Katarína Mathernová est bien placée pour répondre à cette question, et à bien d'autres encore concernant les partenariats. Elle a occupé des postes de haut niveau à la Commission européenne (CE), à la Banque mondiale et au sein du gouvernement slovaque. Elle est actuellement directrice générale adjointe de la Direction générale du voisinage et des négociations d'élargissement de la CE. Dans cet entretien édité, elle expose son point de vue sur les enjeux des partenariats et sur ce qui les rend efficaces.
Pouvez-vous tout d’abord revenir sur les grandes priorités de la Commission européenne face à la pandémie de COVID-19 et plus précisément sur la manière dont elle collabore avec les gouvernements pour leur venir en aide ?
Vous vous souvenez peut-être qu'au début des mesures de confinement, on avait vraiment l'impression que l'Europe était centrée sur elle-même et qu’elle ne se souciait que de son propre sort. Il faut se rappeler qu’à ce moment-là, au mois de mars, cette région était la plus fortement touchée après la Chine. Alors nous nous sommes mobilisés pour adresser à nos pays partenaires un signe de solidarité très fort et mettre sur pied un train d’aides qui montre que l'Europe est aux côtés de ses partenaires internationaux.
Nous avons passé en revue nos programmes en cours et récents et les avons réorientés. Aujourd'hui, nos activités consistent principalement à répondre à la crise du COVID-19, et elles s'articulent autour de trois axes. Le premier est l'aide d'urgence, l'aide humanitaire. Le deuxième est la mise en place d'un soutien aux systèmes de santé. Et le troisième concerne l’ensemble du soutien socio-économique lié au risque de liquidité. On parle de soutien à la solvabilité : il s’agit d’aider les agents économiques ainsi que les gouvernements qui sont actuellement en situation de crise. Nous avons constitué un paquet de 20 milliards d'euros pour ces différentes initiatives.
Nous lançons également un programme de garantie qui, dans les années à venir, étoffera considérablement le Fonds européen pour le développement durable . C'est la direction que nous allons prendre, et nous collaborerons très étroitement avec nos partenaires internationaux sur ce point.
Qui sont vos principaux partenaires en ce moment, et qu’est-ce que la crise a changé à cet égard ?
Je dirais que la base du Fonds européen pour le développement durable repose sur nos partenaires, à savoir les institutions financières internationales, les banques nationales de développement et les banques multilatérales de développement. Nous collaborons avec eux puisqu’il n’est pas question pour nous de soutenir directement le secteur privé. Nous le faisons par l'intermédiaire de nos partenaires. Ces partenariats ont connu une très forte montée en puissance avec la pandémie de COVID-19. Je passe le plus clair de mon temps à m’entretenir avec nos partenaires, qu'il s'agisse de la BERD, d’IFC, de la Banque mondiale, du FMO, l’agence néerlandaise de financement du développement, ou des différentes agences de développement européennes.
C'est un effort intense. Bien évidemment, ce n'est pas facile, c'est même compliqué. Nos institutions sont des mammouths, il faut du temps pour qu’elles s’accordent entre elles. Mais je pense aussi que nous sommes tous très liés, et que nous sommes tous confrontés à la pandémie et à une crise économique mondiale. Nous ne pourrons réussir que si nous travaillons en bonne intelligence et en partenariat.
Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées ? Et comment avez-vous réussi à rassembler des groupes divers ?
Tous ceux qui connaissent l'Union européenne et son financement savent que les contraintes juridiques, réglementaires et prudentielles qui pèsent sur nos ressources sont très élevées et, par conséquent, onéreuses. C'est pourquoi la plupart des difficultés proviennent du fait que nous devons satisfaire des attentes et des normes différentes, que les autres « mammouths » présents dans la salle ne comprennent pas aisément. Si chacun d'entre nous est une grande institution avec sa propre gouvernance, avec son propre ensemble de règles, il n'est pas toujours facile de s’entendre.
Comment faites-vous pour les rapprocher ?
Prenons l'exemple de notre programme de soutien aux six pays membres de notre partenariat oriental : l'Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie et les trois pays du Caucase —Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan. Lors de nos discussions, nous nous sommes rendu compte que si notre programme pouvait nous sembler important (plus de 30 millions d'euros), globalement, il était relativement modeste. Nous avons reconsidéré nos propres attentes, porté la discussion sur un tout autre plan et approuvé le programme très rapidement. Nos pays partenaires ont fait savoir qu'ils appréciaient que nous ayons agi tôt et rapidement pour leur obtenir ce soutien.
Un problème similaire s'est posé pour le financement des petites et moyennes entreprises, ainsi que pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Nous avons considérablement renforcé notre soutien et nous avons entamé une discussion sur la structuration de la gouvernance, ainsi que sur de nombreuses autres questions. Mais nous avons ensuite pu en discuter et dire : « Attendez une seconde, nous sommes en pleine crise. Essayons simplement de faire de notre mieux pour nos pays partenaires, pour leurs entreprises et leurs entrepreneurs ». Nous avons donc inscrit certaines grandes questions, qui sont toutes absolument légitimes et pertinentes, à l'ordre du jour d'un programme futur, lorsque nous serons sortis de la crise actuelle. L'une des leçons à tirer de cette expérience est qu'il faut parfois disposer d'un mécanisme très rapide pour faire remonter un problème à un niveau supérieur, de sorte qu'il soit résolu.
Vous voulez dire qu'il faut porter ce problème à l'attention de son chef ?
Oui, au cours de ma carrière, j'ai assisté à des discussions entre différents partenaires sur de simples contrats qui duraient deux ans, alors que si elles avaient été portées à l'échelon supérieur, le problème aurait pu être résolu en quelques semaines. Lorsque des problèmes apparaissent, il faudrait que la direction de chacune de nos institutions intervienne plus rapidement, de sorte que les choses soient réglées au plus vite.
J'aimerais que vous nous en disiez plus sur la recherche de nouveaux types de partenaires. Par exemple, la Commission européenne s'est associée à Global Citizen, une organisation qui lutte pour mettre fin à la pauvreté dans le monde, afin de collecter des fonds pour les vaccins. Que pensez-vous des partenariats entre des organisations multilatérales ou d'autres groupes établis et la société civile ?
C'est une chose dans laquelle je place personnellement beaucoup d’espoir. Beaucoup de causes sur lesquelles nous travaillons nécessitent la participation d'un groupe de parties prenantes bien plus large que les seuls gouvernements. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, était sur le devant de la scène lors du sommet mondial sur la vaccination il y a quelques semaines. Parmi les principaux partenaires figuraient la Fondation Bill et Melinda Gates, l’Alliance GAVI, le Wellcome Trust, ainsi qu'un grand nombre de dirigeants du monde entier et la Banque mondiale. Nous avons fait savoir que nous voulions travailler avec tous ceux qui ont un poids dans un domaine donné.
Autre exemple, nous collaborons étroitement avec le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO). Ce partenariat promeut la transparence dans les finances publiques. Dans les Balkans, par exemple, nous travaillons avec une multitude d'organisations de la société civile qui défendent cet objectif. Ainsi, lorsque nous aidons ou encourageons les pouvoirs publics à mettre en œuvre un programme de réforme, nous soutenons également les acteurs de la réforme en dehors de l’État. Ces groupes sont parfois très critiques, parfois constructifs, mais surtout ils obligent les pouvoirs publics à rester vigilants.
Quels sont les obstacles qui vous contrarient particulièrement en matière de partenariat ?
Je pense que le leadership et l'attention de la haute direction sont vraiment indispensables pour surmonter les barrières interinstitutionnelles. Sinon, c’est très souvent décourageant et cela prend beaucoup plus de temps. Ce que je souhaite, c'est que soit mis en place, entre le haut niveau des dirigeants du G7 et ceux qui travaillent sur les partenariats au sein des institutions, un groupe intermédiaire de dirigeants déterminés qui encouragent les partenariats. Nous en sommes encore loin.
Et quels sont vos principaux motifs de satisfaction ?
Ce que j'apprécie personnellement, c'est la collaboration interinstitutionnelle. Chaque grande institution possède son métalangage, sa propre perception de soi ou ses propres priorités. On aboutit bien souvent à un dialogue de sourds. J'apprécie donc le fait que nous puissions résoudre les problèmes de communication et nous comprendre simplement les uns les autres.
Publié en juin 2020