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Inspirant le Meilleur de Brazzaville: les stratégies commerciales en ligne marquent une nouvelle ère

mai 26, 2020

Gessye Safou-Mat

Il y a tout juste cinq mois, j’étais à Brazzaville, ma ville natale, pour le mariage de ma sœur. Les invités, au milieu d’une foule joyeuse, ont dansé et festoyé au son des tam-tams. J’ai regagné mon appartement de Washington dans un état d’insouciance tout juste troublé par les aléas de mon voyage en avion — à mille lieues de mes préoccupations actuelles en cette période de distanciation sociale imposée : ne pas approcher mes amis à moins de deux mètres et supporter la séparation d’avec ma famille, à pratiquement 10 000 kilomètres de là, sans savoir jusqu’à quand.

Juste avant l’entrée en vigueur du confinement, le 31 mars (sachant qu’il a été levé le 18 mai), mon pays ne comptabilisait que 19 cas et aucun décès. Depuis, les choses ont évolué en République du Congo (souvent confondue avec la République Démocratique du Congo) : au 19 mai, le nombre de cas était passé à 420 et les décès à 15, sur une population d’environ 5,2 millions d’habitants.

Dès les premières annonces des restrictions, avec un préavis d’à peine deux jours ouvrables, je me suis demandé comment les plus vulnérables de mes compatriotes arriveraient à faire face. La plupart des travailleurs ont un emploi informel et gagnent leur vie au jour le jour — difficile à faire quand tout le monde est confiné. J’ai essayé de tendre la main à celles et ceux qui ont le plus besoin d’aide : ma famille et mes amis ont mis sur pied une collecte de fonds pour distribuer des denrées alimentaires dans quatre orphelinats de Brazzaville et nous avons organisé des transferts d’argent, de 60 dollars, pour permettre à 20 jeunes vulnérables du pays qui en avaient fait la demande d’acheter des produits de première nécessité.

Photo of Gessye Ginelle Safou-Mat
Gessye Ginelle Safou-Mat. Crédit Photo : Aimeryl Safou-Mat

Mais c’est une goutte d’eau par rapport à l’immensité des besoins. Avec tant de personnes en difficulté et tant d’autres bien décidées à aider les plus faibles, j’ai contacté des amis congolais aux États-Unis et dans mon pays pour me faire une meilleure idée de la situation. Au bout de quelques coups de fil et malgré la distance, j’ai eu l’impression d’être de retour à Brazzaville…

S’adapter et innover

Malgré les difficultés actuelles, mes amis s’adaptent à cette nouvelle normalité et inventent des solutions.

Mon cousin Junior s’est mis à travailler depuis chez lui. Il fait partie des rares à avoir les moyens de le faire. Comme pour de nombreuses autres personnes, l’électricité constitue le plus gros problème : il n’a accès que 15 jours par mois. Pour maîtriser les coûts, il a appris à jongler entre la batterie de son ordinateur portable et son groupe électrogène.

J’ai découvert qu’une de mes amies, Vanessa Metou, dirige la branche congolaise de la Young African Leaders Initiative (YALI), en plus de gérer une ONG et de travailler avec l’Union africaine en tant que représentante de la jeunesse.

Le réseau YALI a très vite constaté que la prise de conscience autour de la pandémie était assez faible. Au début, les campagnes de communication étaient diffusées uniquement en Français sur les chaînes de télévision nationales, excluant de facto une grande partie des populations rurales.

« Beaucoup mettaient en cause l’existence même de la pandémie ou n’en comprenaient pas la gravité, provoquant chez certains le non-respect des mesures de distanciation sociale. Il y a toujours des sceptiques, encore aujourd’hui », m’a-t-elle dit. « Nous avons travaillé avec des médias locaux pour mettre au point des campagnes de communication dans les langues locales (Lingala, Lari, Téké et Mbochi) et commencé à utiliser des mégaphones et les réseaux sociaux pour toucher tout le monde, y compris les populations rurales et autochtones. »

Pour préparer la réouverture du pays, le gouvernement a passé unecommande de 1,5 million de masques auprès de couturiers locaux afin de les distribuer gratuitement aux habitants. Les autorités ont demandé à tous les citoyens de participer à la production de masques supplémentaires. Plusieurs fondations locales, dont celles de ma mère, ont répondu présent.

Patronne d’une boutique et membre du réseau YALI, Chancelle Mbilampassi produit des masques gratuits qu’elle distribue aux gens. « Cette décision permet aussi à nos couturiers de toucher un revenu », précise-t-elle.

Image en arrière-plan : première récolte de champignons de Kinata. Crédit Photo : Kinata SARL.

Les envois de fonds baissent, mais la générosité perdure

Noel Karl Lebondzo, représentant du Congo au conseil consultatif de la jeunesse à Washington D.C. et par ailleurs membre du réseau de la diaspora africaine, m’a dit qu’il était tiraillé depuis plusieurs mois par les mêmes inquiétudes que moi. Pour « prouver notre solidarité, même si nous sommes loin et également touchés de plein fouet par la crise », il a lancé une collecte de fonds auprès de la diaspora congolaise aux États-Unis afin de financer l’achat de produits destinés aux pauvres touchés par la crise. Grâce aux quelque 3 000 dollars recueillis, il a pu distribuer des aliments, des gants et du gel hydroalcoolique à plus de 100 familles.

Noel Karl m’a aussi rappelé que les retombées économiques de la pandémie empêchaient les Congolais installés à l’étranger d’envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays. Une réalité conforme aux prévisions de la Banque mondiale, qui anticipe un repli inédit des remises migratoires.

En conversant avec l’une de mes amies de longue date, Momo Bazoungoula, consultante en finance installée à Harrisburg, en Pennsylvanie, j’ai vu qu’elle partageait nos inquiétudes sur la question. Son travail à temps partiel, dans l’assurance-vie, implique d’avoir des contacts avec les clients, mais la pandémie l’en a empêché. Alors qu’avant, elle parvenait à envoyer environ 500 dollars par mois à sa mère et à sa sœur au Congo, aujourd’hui, elle a du mal à réunir plus du tiers de cette somme.

« Ça me fait mal au cœur quand elles me disent à quel point cela a été dur pour elles, mais nous n’avons pas le choix », explique-t-elle.

Malgré cela, Momo s’est engagée dans une organisation caritative locale, « Living Water », pour parrainer dix individus vulnérables de Brazzaville et couvrir leurs besoins essentiels.

Au Congo, cet effondrement des remises migratoires ( les transferts de fonds des émigrés vers leur pays d'origine) a été aggravé par le fait qu’un bon nombre des agences de transferts d’argent fonctionnaientavec un effectif restreint. De ce fait, les files d’attente et les délais avaient de quoi décourager avaient de quoi décourager les retraits.

Malgré tout, les transferts locaux sont en plein essor. « Les paiements mobiles se sont révélés extrêmement efficaces », se réjouit mon amie Jennie Jean Kassa, fondatrice et créatrice chez Zebi Wax, une marque congolaise de vêtements et d’accessoires africains. « Nous avons utilisé nos téléphones portables pour envoyer et recevoir des transferts dans tout le pays. Ça reste bon marché et c’est très facile d’accès, avec plein de points de vente dans la ville. C’est très commode pour réduire l’exposition au virus. »

Mais le mois dernier, comme dans les autres boutiques, les ventes sont restées au point mort. C’est la société tout entière qui en paie le prix. « Nous vivons tous l’ampleur de la catastrophe », poursuit-elle. « Je ne peux plus m’occuper de ma mère comme avant. Beaucoup d’entre nous ont un emploi informel et si nous ne travaillons pas pendant un mois, nous n’avons plus de revenu et donc moins d’argent à distribuer. Nous essayons d’aider les autres, mais c’est compliqué. »

Les petites entreprises sont les plus durement touchées

Pour mieux comprendre les difficultés rencontrées par les entrepreneurs et leurs capacités de résilience, j’ai appelé Loïc Mackosso, associé-gérant chez Aries Investissements, un cabinet de conseil financier qui aide ses clients à structurer et financer leurs investissements en Afrique. Leur cabinet a notamment été sollicité pour la mise aux normes de trois aéroports du Congo. Comme de nombreux autres chefs d’entreprise, il a dû, en concertation avec le cofondateur du cabinet, Regis Matondo, mettre en congé les employés pendant qu’ils ont continué à assurer un service minimum en télétravaillant depuis chez eux.

Puis j’ai recontacté mon ami styliste, Jennie, cette fois-ci via Messenger. Malgré un chiffre d’affaires inférieur de moitié à son niveau normal, elle a réussi à conserver sa clientèle.

Les nouvelles conditions d’activité l’ont obligée à faire preuve de créativité. « Le coronavirus a modifié ma manière de gérer Zebi Wax », m’explique-t-elle. « Nous avons revu notre stratégie marketing, en faveur des transactions en ligne. Au début, mon entreprise était totalement fermée, mais depuis que j’ai réalisé que les sociétés de transport internationales, comme DHL, continuaient à fonctionner, j’ai pu satisfaire mes commandes de l’étranger. Mais à Brazzaville, l’activité est encore à l’arrêt puisque les déplacements restent limités. »

Ces restrictions ont singulièrement compliqué la vie des agences de voyage, au Congo comme ailleurs dans le monde. Directrice de l’agence IATA à Brazzaville, Rosine Ndounga a dû fermer, faute de vols commerciaux.

Ce qui « [m’]inquiète vraiment, c’est la crise financière. Sans activité, il n’y a pas de salaire à la fin du mois. Heureusement, mon fiancé travaille toujours. » Enceinte, Rosine profite de la situation pour se reposer. « L’état du système sanitaire du pays m’a inquiétée. Être dehors est plus effrayant que d’être confiné. En restant à la maison, je protège mieux mon enfant. »


Au laboratoire de Kinata, un employé se prépare pour la première récolte de champignons. Crédit Photo : Kinata SARL

Mon cousin Junior Massamba, qui vit à Pointe-Noire, a lui aussi développé de nouvelles stratégies marketing pour aider son entreprise à survivre au ralentissement de l’économie. En plus de travailler pour une société pétrolière, il a fondé Kinata, une entreprise de culture de champignons. Au Congo, les champignons ne poussent normalement que pendant un mois, durant la saison des pluies. L’objectif de Kinata est de proposer des champignons bio toute l’année.

« Le lancement d’une production à grande échelle a malheureusement coïncidé avec le début du confinement. Il était difficile pour nous d’écouler ce produit périssable dans les restaurants, qui avaient été obligés de fermer », explique-t-il. « Nous avons mis à profit ce ralentissement pour développer la commercialisation en ligne. Nous avons pu ainsi répondre à la demande en organisant, parallèlement, un service de livraison. »

Perspectives d’avenir

A l'avenir pour Loïc Mackosso, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière des perspectives d’investissements au Congo, en particulier dans des secteurs clé comme l’agriculture, l’agro-industrie ou l’industrie pharmaceutique.

« Nous avons rencontré de nombreux entrepreneurs travaillant sur des solutions novatrices qui pourraient intéresser des investisseurs. Les faiblesses révélées par la crise doivent être transformées en dynamique positive. Nous invitons fortement les investisseurs à nous accompagner dans le financement d’entrepreneurs africains pour leur permettre d’exprimer tout leur potentiel », plaide-t-il.

Ces conversations téléphoniques m’ont donné de l’espoir et me permettent d’envisager une nouvelle ère, dans laquelle mon pays opèrerait sa transition vers l’innovation et la technologie. Et pour mes compatriotes les plus vulnérables, je suis convaincue que nous avons tous un rôle à jouer pour les aider. J’ai découvert à cette occasion les solutions que des congolais, ici ou là-bas, mettent en place dans ce but.

Jamais je n’aurais pu imaginer que mon séjour au Congo, il y a cinq mois, dans des rues bondées pour célébrer un joyeux événement, serait le dernier avant bien longtemps. En attendant de pouvoir rentrer au pays, auprès de ma famille et de mes amis, un seul mot d’ordre : #restezchezvous.

Publié en mai 2020