Par David Lawrence
Depuis de nombreuses années déjà, les promoteurs des énergies renouvelables sont convaincus de la rentabilité financière des mini-réseaux afin d’assurer aux collectivités et aux entreprises d’Afrique subsaharienne un accès bon marché et fiable à une électricité verte — en particulier dans des endroits hors de portée des réseaux traditionnels existants.
Beaucoup déplorent la croissance trop lente du secteur, faute de réformes de l’État et de soutien des donateurs, deux préalables indispensables pour inciter les opérateurs privés à s’engager. Aujourd’hui, alors même que les pays doivent riposter à la crise liée au coronavirus (COVID-19), ils estiment que le moment est venu de mettre en place ces conditions pour une reconstruction durable.
« Nous privilégions les pays où la législation est favorable aux mini-réseaux et où des financements existent », indique Sam Slaughter, PDG de PowerGen, une entreprise qui a déployé des mini-réseaux solaires au Kenya, au Nigéria, en Sierra Leone et en Tanzanie. « Nous opérons dans un secteur — les services d’utilité publique — extrêmement règlementé et surveillé de près par les autorités. Pour nous lancer dans un pays, nous devons être sûrs que les politiques et les législations sont favorables. »
Malgré ces obstacles potentiels, certains investisseurs privés affichent une confiance renouvelée dans le développement des mini-réseaux, en particulier en Afrique. Cet optimisme s’explique en partie par le regain d’attention des institutions internationales, qui s’est notamment manifesté lors d’une réunion pilotée par IFC pour étudier des pistes à court terme dans trois pays d’Afrique.
Certains promoteurs sont convaincus que la facture de l’accès universel à l’électricité pourrait être bien moins lourde. Pour Sam Slaughter, 100 milliards de dollars (assumés à la fois par le secteur public et des investisseurs privés) pourraient permettre de connecter 500 millions d’Africains, en misant sur la solution la plus avantageuse financièrement parlant, qu’il s’agisse de mini-réseaux, de systèmes solaires individuels ou de l’extension du réseau principal.
« L’octroi d’une subvention de 500 dollars par raccordement sur l’ensemble du continent africain afin de financer la solution d’électrification la moins coûteuse est un objectif politique réaliste susceptible de réduire le coût et les délais nécessaires pour remédier à ce problème planétaire urgent », affirme-t-il.
Jon Exel, spécialiste senior de l’énergie à la Banque mondiale et responsable du mécanisme de financement dédié aux mini-réseaux au sein de l’ESMAP, souligne le caractère prometteur de ces solutions : « Le secteur des mini-réseaux a tous les atouts pour se développer fortement dans les dix prochaines années », explique-t-il. « Les évolutions technologiques et la conjoncture alimentent déjà la dynamique, mais il faudra aller au-delà d’une approche classique du développement des mini-réseaux pour libérer tout le potentiel de la filière. »
Les défis en amont
Pouvoirs publics et promoteurs des mini-réseaux ont bien conscience que les investisseurs sont en attente de conditions opérationnelles plus favorables pour assurer le déploiement rapide d’installations sur une échelle suffisante en Afrique.
Parmi les principaux obstacles signalés par les promoteurs figurent l’obtention des autorisations, les risques liés à l’intégration des mini-réseaux dans les réseaux nationaux et l’absence de financements en monnaie locale à des taux acceptables assortis d’échéances longues.
Certains gouvernements africains font des mini-réseaux un pilier de leurs plans nationaux d'électrification. Photo : Avec l’aimable permission de AMDA
La politique tarifaire est l’un des enjeux les plus aigus du secteur. Selon la Banque mondiale, dans la majorité des pays d’Afrique, les tarifs pratiqués ne parviennent pas à couvrir les dépenses.
« Nous devons pouvoir rentabiliser la mise de nos investisseurs, y compris les prêteurs », rappelle Nicole Pointdexter, PDG et fondatrice d’Energicity Corp. « Le tarif n’est qu’un moyen d’amortir le coût de cet investissement à travers tous les kilowattheures vendus pendant sa durée de vie. Une politique tarifaire digne de ce nom en tient compte. »
Les entreprises de mini-réseaux doivent aussi bénéficier d’une aide pour compenser le surcoût du déploiement d’infrastructures en zones rurales.
« À terme, les mini-réseaux sont la solution la moins coûteuse, mais les réflexions sur leurs modes de financement promettent d’être passionnantes », indique Jack Holmes, vice-président de Winch Energy. « Les entreprises de services d’utilité publique en Afrique sont rarement rentables. Les solutions hors réseaux devront bénéficier du même volume d’aide de l’État ou de subventions par les bailleurs de fonds que le réseau. »
Pour Sam Slaughter, l’accès à l’énergie en zones rurales « a toujours nécessité une aide publique. C’est vrai au Canada, aux États-Unis ou en Europe. Toute la difficulté est d’arriver à associer capitaux privés et aide publique afin de permettre aux entreprises de déployer effectivement des infrastructures d’accès à l’énergie dans les zones rurales mal desservies. »
La plupart des gouvernements sont d’accord avec ce principe.
Shegun Bakari, conseiller principal pour la présidence du Togo, travaille avec IFC sur une stratégie d’électrification tablant sur la montée en puissance des énergies renouvelables et des systèmes hors réseau. Le gouvernement togolais a lancé des appels d’offres pour déployer des mini-réseaux dans 300 collectivités, grâce à des partenariats public-privé.
Shegun Bakari est convaincu que le gouvernement pourrait accélérer les investissements privés : « Aujourd’hui, les tarifs et l’accessibilité de l’énergie sont les principaux obstacles au déploiement des mini-réseaux au Togo », souligne-t-il. « Si nous résolvons ces problèmes, je suis certain que de nouvelles entreprises privées viendront frapper à notre porte. »
Avec la participation du secteur privé, l’agence d’électrification des zones rurales (REA) du Nigéria entend déployer 10 000 mini-réseaux d’ici 2023 pour alimenter 14 % de la population du pays. En parallèle, elle met également en place le projet d’électrification du Nigéria, un cofinancement de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement d’un montant de 550 millions de dollars, décaissé en fonction des performances et destiné aux promoteurs des mini-réseaux et des solutions solaires individuelles.
« Nous avons pour mission de rendre l’environnement des affaires attractif pour les investisseurs privés en facilitant la délivrance des autorisations et les évaluations d’impact, mais également en travaillant sur les questions foncières avec les autorités locales », indique Ahmad Salihijo, directeur général de la REA.
Un système de mini-réseau peut fournir une alimentation continue à une communauté de plusieurs milliers de personnes. Photo : Avec l’aimable permission de PowerGen
Identifier les débouchés
Lors d’un atelier en visioconférence organisée par IFC en avril 2020, le personnel d’IFC et de la Banque mondiale a discuté de l’élaboration d’une stratégie d’extension du marché des mini-réseaux en Afrique subsaharienne et des moyens d’attirer les investisseurs privés dans cette filière.
Yann Tanvez, directeur du développement commercial des mini-réseaux au sein du département des infrastructures pour le Moyen-Orient et l’Afrique d’IFC, a rappelé les raisons de la tenue d’une telle réunion : « Personne n’a encore trouvé de formule magique pour rendre les mini-réseaux opérationnels en Afrique. »
Les participants ont identifié des débouchés prometteurs au Nigéria, où les mini-réseaux pourraient s’imposer comme un moyen efficace et à moindre coût pour alimenter en électricité quelque 7 millions de ménages confrontés actuellement à un approvisionnement aléatoire. Fort d’un environnement réglementaire opérationnel et d’une demande d’électricité assez soutenue en milieu rural, le pays est relativement avancé en termes de développement des mini-réseaux. La Banque mondiale estime à plus de 10 milliards de dollars d’ici 2030 le potentiel cumulé d’investissements dans les mini-réseaux, mais le déblocage des financements par emprunt exige des mesures de plus grande envergure à l’échelle nationale, surtout pour les opérations libellées en monnaie locale.
Les participants à l’atelier ont également reconnu le potentiel de la République démocratique du Congo. Avec un taux d’électrification très faible parmi les populations susceptibles d’être alimentées par des mini-réseaux, les investissements pourraient atteindre 12,5 milliards de dollars en faveur d’environ 8 millions de ménages. Mais tous ont admis que la situation sécuritaire, les capacités du gouvernement et les instruments financiers faisaient partie des éléments à prendre en compte avant de promouvoir une participation accrue des opérateurs privés.
Une nouvelle initiative collaborative
Une autre organisation internationale, Sustainable Energy for All (SEforALL), qui intervient en étroite collaboration avec les Nations Unies et d’autres institutions pour soutenir l’universalisation de l’accès à l’énergie, a opté pour une approche panafricaine des besoins du secteur sur le plan de la réglementation, de la planification et des financements.
Damilola Ogunbiyi, PDG de SEforALL, représentante spéciale des Nations Unies pour l’énergie durable pour tous et co-présidente d’ONU-Énergie, rappelle que la crise du coronavirus a mis clairement en évidence la nécessité de développer l’électrification.
« Nous devons redoubler d’efforts et déployer de toute urgence de nouvelles approches pour parvenir dans les délais impartis à un accès universel à l’énergie. Pour cela, nous avons besoin d’un volume important de capitaux afin de financer la production centralisée et distribuée d’électricité et les appareils de cuisson non polluants », rappelle-t-elle. « Les modèles de passation de marchés pour des projets allant dans ce sens restent très chronophages et très lourds d’un point de vue administratif pour les gouvernements, les donateurs et les exécutants. »
SEforALL et ses partenaires (l’AMDA, les fondations Shell et Rockefeller et des bailleurs internationaux) sont en train de mettre sur pied un mécanisme de financement multidonateurs, l’Universal Energy Facility (UEF), qui devrait être opérationnel fin 2020. Ce nouveau dispositif, axé sur un financement aux résultats, octroiera des incitations financières aux organisations fournissant des raccordements vérifiés aux utilisateurs finals.
« Il va falloir débloquer un volume inédit de financements publics, privés et des partenaires du développement », explique Damilola Ogunbiyi, « et travailler avec nos gouvernements clients pour mettre en place un environnement porteur — en termes de politiques, de réglementations et de dispositions institutionnelles — qui déclenchera ces apports de capitaux. »
Publié initialement en juin 2020.
Publié en juin 2020
Mis à jour en juin 2022