Alison Buckholtz
SOSV, la société de capital-risque fondée par Sean O’Sullivan, a aidé plus d'un millier d'entreprises en investissant aux différents stades de la conception et du développement de « grandes idées pour un changement positif ». Chaque année, 150 nouvelles start-up bénéficient des programmes d'accélération de SOSV, qui fournissent aux jeunes entrepreneurs des capitaux de démarrage, des équipes de développement de produits, des mentors et l'accès à des laboratoires et des espaces de fabrication collective à Shenzhen, Shanghai, Taipei, Tokyo, San Francisco et New York. Alors que la menace du coronavirus (COVID-19) s'étend sur la planète, la société — dans laquelle IFC a investi— s'est rapprochée d'entrepreneurs recherchant des solutions aux problèmes posés par la pandémie. Sean O'Sullivan partage ici ses réflexions sur les solutions les plus prometteuses, décrit comment l'économie de l’après COVID-19 affectera l'investissement dans les start-up, et explique pourquoi il ressent ce moment comme un « appel à aider ».
Comment se porte votre société en ces temps de pandémie et comment se portent les entreprises de votre portefeuille ?
La pandémie est un véritable coup dur pour les entreprises de notre portefeuille et pour notre organisation, c'est un défi pour nous tous. Je dirais qu'environ 10 % de nos entreprises se portent très bien et que la pandémie leur a en quelque sorte ouvert de nouveaux horizons. Environ 20 à 30 % traversent des moments difficiles parce qu'elles sont dans le secteur manufacturier et qu'en raison du confinement, leur production est temporairement interrompue. Les autres s'en sortent tant bien que mal.
Vous êtes quelqu'un qui repère et cultive l'émergence de grandes idées. Avez-vous le sentiment de devoir contribuer au développement de technologies susceptibles d'aider la société à combattre le coronavirus ?
Oui, en effet. Nous vivons un moment qui ne ressemble à rien de ce que l'humanité a connu en 100 ans. Je pense que dans une situation comme celle-ci, ceux qui le peuvent se doivent d’agir. Une trentaine des sociétés de notre portefeuille propose des solutions et des moyens de lutte contre le coronavirus qui donnent de l'espoir et qui nous offrent des options pour sortir de ce très mauvais pas. Les deux principaux secteurs dans lesquels nous investissons sont les sciences de la vie et les outils informatiques. Et dans ces deux domaines, nous avons des entreprises qui jouent un rôle important dans la fourniture de solutions autour du coronavirus.
Quelles sont les idées spécifiquement liées à la pandémie de COVID-19 et financées par SOSV qui vous enthousiasment le plus ?
Selon nous, les projets qui ont le plus d'avenir sont ceux qui sont développés dans le domaine des sciences de la vie. Je pense par exemple au test de diagnostic « CASPR » (a), basé sur la technologie d’édition génomique CRISPR. Cet outil permettra d'effectuer des tests très peu coûteux pour diagnostiquer le coronavirus, sur le lieu de travail et à domicile. C'est comme un test de grossesse : pour quelques dollars, vous pouvez savoir si vous êtes atteint du virus ou si vous souffrez d'autres maladies. À ses débuts, l'entreprise a travaillé sur le virus Zika et d'autres tests génétiques.
Une autre des entreprises de notre portefeuille, Verdex, a mis au point un matériau en nanofibres pour fabriquer des masques plus performants pour les soignants, car les nanofibres permettent une meilleure filtration. Ces masques ne coûtent pas plus cher que les modèles N95, mais ils sont plus de deux fois plus respirants. L'entreprise fabrique actuellement des échantillons et cherche à augmenter le nombre de machines pour produire ses masques en plus grande quantité. Pour cela, elle pourra s'associer à des fabricants américains ou européens afin de produire des masques localement, et elle travaille déjà avec des fabricants de masques chinois. Le créateur du produit était auparavant chercheur chez Dupont, où il a contribué au développement du Tyvek.
Le quotidien de SOSV est-il différent de celui d'avant la pandémie ? Selon vous, en quoi cette période a-t-elle modifié la façon dont votre société mène ses activités ?
SOSV gère des accélérateurs à l'échelle mondiale. Nous avons des espaces de travail partagé à Shenzhen, Shanghai, Taipei, Tokyo, San Francisco et New York. Ils ont pour la plupart été transformés en centres virtuels. Dans un monde idéal, toutes ces équipes se mêlent et apprennent les unes des autres, des mentors viennent expliquer aux entrepreneurs la meilleure façon de présenter leurs entreprises, de vendre des parts, et tout ce que les entrepreneurs doivent savoir. Mais nous avons dû passer à un environnement virtuel. Cela n'a pas été facile pour beaucoup de nos entreprises, en particulier celles de matériel informatique et des sciences de la vie, qui développent des produits concrets et ont besoin de laboratoires et d’installations pour les fabriquer.
Quels changements de comportement anticipez-vous chez les investisseurs, pendant et après la crise ?
À mon avis, nous allons assister à un désengagement considérable des investisseurs providentiels, qui sont en général très importants au démarrage d'une start-up. Je pense que ce ralentissement s'accompagnera d'une réévaluation de la valorisation des start-up qui sont à vendre. Il nous faudra un an ou deux pour sortir de cette situation. Cela dit, de courtes périodes d'un an ou deux ne sont pas préoccupantes pour nous, car nous investissons pour des durées de 10 à 12 ans. Nous considérons celle-ci comme une zone de turbulences et nous pouvons aider les entreprises à la traverser. C'est une période difficile, bien sûr, mais après la pluie vient le beau temps. Et, comme vous le savez, l’histoire nous montre que les meilleurs investissements se réalisent souvent en période de dépression et de récession, comme celle que nous vivons actuellement. Les marchés baissiers ont toujours été un bon tremplin pour les start-up et les investisseurs. Les valorisations sont un peu plus prudentes, un peu plus réalistes. C'est plutôt favorable pour des investisseurs comme nous.
Si les investisseurs classiques deviennent plus influents que les investisseurs providentiels dans le choix des start-up à financer, comment cela peut-il modifier la composition des accélérateurs et la manière dont ils sont gérés ?
Beaucoup d'accélérateurs dépendent presque entièrement des investisseurs providentiels. Certains des plus puissants — les « super anges gardiens » — peuvent signer un chèque de 100 000 dollars. Mais on constate déjà que ces investisseurs resserrent les cordons de leur bourse compte tenu de l'incertitude ambiante. Ils réduisent énormément leurs placements en ce moment. Cela signifie que les accélérateurs qui dépendaient presque entièrement d'eux vont être au régime sec en matière d'investissements futurs. Parmi les entreprises qui ne sont financées que par des investisseurs providentiels, le taux de disparition va augmenter cette année et l'année prochaine.
Pour d'autres accélérateurs, comme les nôtres, la plupart des fonds proviennent d'investisseurs classiques. Ceux-ci disposent d'un certain capital qu'ils ont déjà alloué. Ils ont levé leurs fonds, qui sont là pour être mobilisés au cours des prochaines années, et en quelque sorte ils continuent sur leur lancée. Néanmoins, ils pourraient ralentir leur rythme d'investissement en raison de l'incertitude ou changer les conditions de leurs opérations pour les mêmes raisons. Cette incertitude peut aussi faire baisser les valorisations, même s’ils continueront à investir. Globalement, je pense que beaucoup d'accélérateurs seront mis hors-jeu pour quelques années au minimum. Avec cette crise, les start-up sont sur la corde raide.
Selon vous, quelles sont les opportunités d'investissement qui découlent de la pandémie ?
C'est vrai que la pandémie ouvre des perspectives, et certaines sont colossales. Nous avons financé des entreprises créées il y a deux mois qui gagnent déjà de l'argent. Une de nos entreprises n'a que trois mois d'existence et elle peut déjà compter sur un chiffre d'affaires annuel de plusieurs millions de dollars. Ce sont des entreprises qui sont nécessaires pour que la société avance. Elles doivent se développer et nous les aidons à se développer.
Il y a d'autres exemples. Nous avons un accélérateur spécialisé dans l'industrie alimentaire, l'un des secteurs qui se portent bien en ce moment. Nous avons aussi des sociétés de robotique qui proposent des robots pour nettoyer les salles de bains ou pour effectuer des décontaminations par UV, et nous finançons ce type d’appareils parce qu'ils répondent à des besoins actuels. Nous sommes conscients que nous allons vivre avec le coronavirus pendant longtemps, et aussi que nous connaîtrons probablement d'autres pandémies à l'avenir.
Publié en mai 2020