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Beniamino Savonitto et Jeyul Yang

Début 2020, tandis que les premiers effets de la pandémie de COVID-19 se faisaient sentir et que les banques et autres institutions financières se trouvaient confrontées à une cascade de risques, il était difficile de prévoir l’ampleur des dommages subis par ces institutions dans les marchés émergents. L’inquiétude était palpable. Une pandémie se transformant en crise financière avait toutes les chances d’avoir des effets négatifs accrus sur les ménages et les entreprises, d’où une complication notable des efforts des pays émergents pour soutenir la reprise économique.

Pour sonder la santé des institutions financières, IFC a lancé, en octobre 2020, une enquête en ligne auprès de son large réseau de clients. Celle-ci a débouché sur l’un des premiers états des lieux de l’impact initial de la pandémie sur les institutions financières des pays émergents.

Comme la pandémie continuait à faire sentir ses effets en 2021, nous nous sommes à nouveau tournés vers nos clients, situés dans 76 pays. L’idée était de cerner l’évolution des répercussions sur leurs portefeuilles, leurs opérations et leurs activités de prêt, et évaluer leurs possibilités de reprise.

Ces deux enquêtes ont mis en évidence les effets étendus et profonds de la crise sur les secteurs financiers, mais ont aussi permis, globalement, de dégager des éléments positifs.

Des institutions financières en voie de rétablissement

La nouvelle enquête (en anglais), qui paraît aujourd’hui, montre que les institutions financières des marchés émergents ont amorcé un redressement général et avaient retrouvé à la fin de l’année 2021 des niveaux d’activité proches de la période d’avant la pandémie. Près de 200 institutions ont pris part à l’enquête.

Les clients de l’IFC font état d’une forte reprise des opérations et des prêts, en réponse à une augmentation de la demande de crédit. Si une moitié seulement des institutions a véritablement retrouvé les niveaux de recouvrement pré-COVID, la part des prêts non productifs a moins augmenté qu’on ne pouvait le craindre. Les moratoires décidés par les gouvernements ne concernent qu’un tiers des répondants, mais les restructurations de prêts et les reports volontaires restent nombreux.

Il est à noter que l’on constate, parmi ces institutions, un changement notable au niveau de la perception des perspectives d'activité. Fin 2021, la majorité des prêteurs se montre bien plus optimiste sur la poursuite des affaires qu’une année auparavant. La plupart des institutions financières estiment ainsi avoir passé le pic de l’impact de la pandémie de COVID-19 et moins de 20 % d’entre elles prévoient une détérioration du ratio de prêts non productifs en 2022. Neuf établissements sur dix anticipent un total rétablissement des opérations d’ici à la fin de l’année 2022 et ils sont très peu nombreux à prévoir de nouveaux problèmes de liquidités.

Young Asian people standing in an ATM queue.
Photo: Shutterstock.com

Sujets de préoccupation

Si le tableau général qui se dégage de nos enquêtes fait clairement apparaître de nets signes de reprise, quelques sujets de préoccupation émergent également.

Il est, en particulier, frappant que près d’un prêteur sur deux conserve une attitude plus prudente qu’avant la crise vis-à-vis des prêts aux micro, petites et moyennes entreprises. Confrontés à des exigences accrues en matière de garanties et de conditions requises, ainsi qu’à une réduction du montant des prêts, les petites entreprises risquent d’avoir encore plus de mal à obtenir les crédits qui leur sont nécessaires pour rebondir et développer leurs activités.

Par ailleurs, les résultats des deux enquêtes montrent qu’en 2020 la crise a eu des effets disproportionnés sur les institutions des économies à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure. Celles-ci continuaient d’accuser du retard sur la plupart des indicateurs fin 2021.

Si, par exemple, dans les institutions des pays émergents à plus haut revenu le taux de prêts non productifs est retombé en 2021 au-dessous des niveaux de 2019, dans les pays à plus faible revenu ce taux est resté nettement supérieur à celui de 2019. On constate des différences similaires pour le recouvrement et d’autres indicateurs de la santé des prêteurs.

Les disparités sont aussi sensibles entre les régions.

Les institutions financières d’Europe de l’Est et d’Asie centrale affichent ainsi une forte reprise des recouvrements tout au long de l’année 2021, tandis que celles d’Asie du Sud et d’Asie de l’Est-Pacifique sont à la traîne.

Des problèmes persistants

Les résultats d’enquête incitent aussi à lancer quelques avertissements.

La dernière enquête a été menée avant le pic du variant Omicron. Celui-ci a provoqué une vague d’infections d’une telle ampleur que les opérations et les actifs des institutions financières ont pu en subir de nouvelles conséquences. L’arrivée d’Omicron et les récents confinements imposés en Chine nous rappellent clairement que la pandémie n’est pas terminée.

Il est aussi possible — et même probable — que les politiques mises en place par les gouvernements pendant la pandémie pour aider les banques et les autres prêteurs, depuis les moratoires sur les dettes jusqu’à la garantie des prêts, aient empêché une répercussion des risques et des difficultés sur les bilans des institutions, et que ces difficultés n’aient ainsi pas émergé dans les enquêtes. Ces politiques d’aide vont ralentir dans les mois qui viennent, ce qui pourrait à nouveau mettre à l’épreuve la résilience des institutions financières et des économies. Le dernier Rapport sur le développement dans le monde 2022 souligne le problème latent des prêts non productifs qui monte en pression et requiert un traitement urgent pour éviter toute nouvelle réduction des prêts aux petites entreprises. Les bouleversements causés par la guerre en Ukraine, la récente flambée des prix des produits de base et la réponse apportée par les banques centrales à la menace inflationniste sont autant de facteurs de risque pour la reprise de l’économie et la situation du secteur financier.

Il n’en reste pas moins que ces deux enquêtes nous donnent une idée bien plus claire des effets de la crise sur les institutions financières. Si l’impact est notable, on peut néanmoins affirmer que fin 2021, les prêteurs des marchés émergents avaient clairement amorcé la reprise.

Beniamino Savonitto, économiste chez IFC, est un spécialiste des institutions financières et de la finance numérique ; Jeyel Yang est économiste financier (université de l’Illinois).

Publié en mai 2022